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journal de la commune

grand rideau noir est subitement tombé. La chose n’est pas nouvelle pour nous : pendant cinq longs mois, nous en avons fait la douloureuse expérience. Et c’est probablement parce que le défaut de nouvelles était pour nous la plus dure privation du siège que le gouvernement de Versailles appliqua cette mesure contre Paris. Notre trésor de haine, nos ressentiments que nous réservions précieusement contre les Prussiens, nous sommes obligés de les tirer de nouveau à la lumière et de les dépenser, malgré nous, contre ceux qui, à Versailles, ont pris la suite de leurs affaires.

Les convois de voyageurs circulent encore sur la plupart des lignes, mais avec les perquisitions qui se font, ici au nom du Gouvernement de Paris, là au nom du Gouvernement de Versailles, la circulation est très gênée.

On nous dit que le Gouvernement de l’ordre, qui organisa si savamment le désordre, va bloquer les chemins de fer et interrompre tous les trains de vivres. Mais il paraît que Messieurs les Prussiens, massés en demi-cercle autour de Paris, n’entendent point qu’on les gêne dans la circulation de leurs troupes, de leur matériel et de leurs denrées. On dit même qu’ils se préparent à exploiter la situation sur une large échelle. Après le siège, leurs cantines, établies dans nos stations de chemins de fer, se faisaient einen honesten Pfennig, en vendant à nos Parisiens affamés du pain blanc et un morceau de saucisson. Ce seront probablement des spéculateurs allemands qui vont maintenant approvisionner, c’est-à dire exploiter le marché de Paris… Battue et écrasée, humiliée et déshonorée, rançonnée à outrance par les reîtres et lansquenets, puis exploitée scientifiquement par les banquiers de Frankfort et par les Schajuden, pauvre France, pauvre France, es-tu assez bas tombée !… Quoi qu’il en soit, il est des gouffres encore plus bas, et la mort au fond du précipice… N’aie pas le vertige, pauvre France ; accroche-toi à la saillie du rocher ; redresse-toi ferme sur tes jarrets, regarde l’abîme d’un œil froid — et n’y tombe pas. Quoi qu’il en soit, quand même le blocus de vivres et de nouvelles serait rigoureux du côté français, pourvu que Paris puisse respirer encore du côté prussien — c’est, hélas, de cette façon que la réalité nous force à nous exprimer — nous pouvons encore attendre les événements de pied ferme.