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journal de la commune

Car la loi républicaine veut que dans toutes les grandes circonstances et surtout dans les événements imprévus il soit fait un Appel au Peuple. Or, c’est le moment ou jamais de faire un appel au peuple. Le Comité interjette appel et M. Thiers, l’Assemblée de Versailles, les maires et députés s’y opposent. Tant pis pour les opposants !

L’immense difficulté pratique est celle-ci : la votation est affaire des municipalités et non de la garde nationale, c’est aux maires de convoquer les électeurs, c’est dans les mairies que sont déposés les registres électoraux, sans lesquels il n’est point de contrôle possible. Or, des élections sans contrôle, il serait trop facile vraiment de les critiquer et, par conséquent, de les invalider…

Cependant la plupart des mairies sont aux mains du Comité central. — Malgré cris et clameurs, plusieurs ont été occupées par des bataillons de gardes nationaux qui ont installé, séance tenante, de nouveaux maires et des adjoints provisoires devant fonctionner d’office pendant la votation. Cela n’est pas légal, mais c’est dans la vérité, c’est dans la nécessité de la situation… Il ne reste plus que deux ou trois mairies encore occupées par des bataillons bourgeois avec chassepots et mitrailleuses ; ils paraissent disposés à s’en servir. Faut-il, pour préluder au vote, faire entr’égorger les citoyens, ouvrir la discussion entre baïonnettes, faire que fusillades et mitrailleuses donnent la réplique à mitrailleuses et fusillades ? Eh non, mille fois non ! Qu’on n’inaugure pas la hideuse guerre civile ! Puisqu’on peut voter dans dix-sept mairies sur vingt, on peut à la rigueur négliger les trois qui persistent. Dix-sept électeurs convoqués sur vingt peuvent prononcer un verdict valable et suffisant, pourvu que le verdict soit prononcé à une forte majorité des dix-sept voix, sans pression d’aucune sorte, avec une liberté manifeste.

Nous ne le demandions pas, nous n’aurions pas osé l’espérer. Le bonheur est venu nous surprendre. Nous avions pris notre parti d’aller de l’avant quand même, résolution désespérée, car elle impliquait des nécessités terribles. Acceptant la fatalité de la situation : fatalité, euphémisme exprimant la somme des imprévoyances, des fautes et des crimes dont se rend coupable la nation française déchirée en factions ennemies, nous allions jouer l’exis-