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journal de la commune

boulevards : on va voir les décombres et les traces du massacre comme on irait voir une exposition ; il y a même des femmes en toilette, car il paraît que c’est fête aujourd’hui, lundi de Pentecôte. Il n’est pas sûr qu’à ne regarder que les physionomies, un étranger devinerait l’horrible drame.

À part la frivolité insigne qui a si tristement illustré la nation française, à part la joie haineuse et cruelle des stupides amis de l’ordre qui croient que tout est fini, qu’ils pourront s’engraisser le reste de leur vie en agiotailiant, exploitaillant et godaillant, il y a la peur. On a peur, mais on est curieux, et l’on veut voir coûte que coûte, pour chercher un refuge, pour en indiquer un, pour savoir si ceux qu’on aime sont morts ou vivants, et, quand on a peur, il faut cacher sa peur devant tous ces surveillants qui vous provoquent du regard, qui inspectent votre mine, vos mains, vos habits, votre tournure, qui gagnent six francs pour arrêter un suspect, cinquante à le faire fusiller. Jamais le monde n’a l’air si gai et si indifférent que lorsqu’il est plongé dans la Terreur.

Mardi 30 mai.

« Quel est donc ce bruit de mitrailleuse que nous entendons et qui a retenti plusieurs fois cette nuit ? Nous croyions que c’était fini ».

« Chut ! nous glisse à l’oreille notre hôte d’une voix tremblante : ce sont les prisonniers de Mazas, de la Roquette, de Belleville. Comme ils sont très nombreux et que ça ne va pas assez vite, on les mitraille… »

« On les mitraille !… »

« On les mitraille. Et puis on continue les perquisitions.

« Vous n’êtes plus peut-être en sûreté chez nous. Si on vous découvrait ! »

« C’est vrai. Mon cher hôte, vous nous avez abrités pendant ces huit mauvais jours. Nous ne l’oublierons de notre vie. Nous allons maintenant chercher un autre asile. »

Chercher un autre asile n’est pas facile par le temps qui court.

Les amis, les grands amis sont pour la plupart autant compromis que nous. Quant à ceux qui n’ont pas votre