Page:Reclus - La Commune de Paris au jour le jour.djvu/378

Cette page a été validée par deux contributeurs.
368
journal de la commune

ciers qui vinrent examiner mon cas. Il parut digne d’être déféré au Commissaire de police de l’arrondissement. Deux gardes nationaux se mirent à mes côtés, et nous marchâmes, moi gardant le silence, eux ne faisant point de questions indiscrètes. — L’un d’eux s’offrit à nous suivre pour que je n’eusse pas l’air d’être en arrestation. Je le remerciai : pourquoi cacher la vérité ? « En route, on nous requit de porter des pavés à une barricade en construction ». J’en ai déjà trop porté. Mes acolytes avaient soif, ils s’arrêtent devant un marchand de vins de leurs amis et m’offrent une trinquée. Je refuse, mais ils y mettent de l’insistance et j’accepte de l’eau sucrée, tandis qu’ils prennent du vin trempé d’eau. Nous trinquâmes sans mot dire, ils ne me laissèrent pas payer.

Au commissariat de police quand mon affaire se présenta à son tour, elle est racontée brièvement et à voix basse par mes compagnons. Le citoyen commissaire fronce le sourcil, m’adresse quelques questions auxquelles je réponds discrètement — et l’arrêt est prononcé : « Attendu qu’aucun fait n’est articulé contre le citoyen muni de papiers insuffisants, le citoyen peut passer son chemin, il est libre ». Je salue, remercie du geste et m’en vais sans mot dire. Ma captivité ne dura guère plus d’une heure.

L’incident n’est pas relaté à cause de son importance biographique, mais comme détail pouvant servir à fixer la physionomie de l’ensemble. À chacun de raconter ce qu’il a vu.

Je remonte par les boulevards vers la Bourse. Les physionomies étaient sombres. Je rencontrai néanmoins un groupe de réactionnaires qui riaient à gorge déployée de je ne sais quelle histoire de Chinois. Dans les kiosques, il n’y avait en vente que trois journaux réactionnaires racontant comme quoi notre vaillante armée avait déjà exterminé cette horde de bandits presque sur tous les points. En sus, la Vérité, qui eût été tout à fait réactionnaire sans son inimitié contre les frères Picard, appelait sur les têtes des membres de la Commune le juste châtiment auquel ils ne peuvent échapper. En dernier lieu le Rappel qui, en ce moment critique, déclarait être contre l’Assemblée mais ne pas être pour la Commune, et rééditait en gros caractères une vieille page de Victor Hugo à peu près incompréhensible.