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journal de la commune

Mardi 2 mai.

Ces représentants de Paris, naguère tant aimés, je ne puis plus penser à eux sans que mon cœur s’emplisse d’amertume. Sanctionnant par leur imperturbable présence à Versailles tout ce que l’Assemblée fait contre nous, ils valent pour M. Thiers autant peut-être qu’un corps de cinquante mille hommes, mieux qu’un terrible parc d’artillerie. Tranquilles en apparence, enfoncés dans leur flegme, ils suivent du regard les progrès du siège sans qu’on devine leur plaisir ou leur peine. On nous canonne, on nous mitraille, on nous assassine ; des citoyens, on en tue depuis un mois cent à cent cinquante par jour, les blessés ne comptent plus — et aucun de nos représentants ne se précipite à la tribune, criant à nos bourreaux : « Ce que vous faites est infâme ! « Aucun ne se tourne vers la France et ne hurle au secours. Non, tous se tiennent cois, sauvegardant, comme ils disent, les immortels principes de 89 ; on les avait mis là pour défendre le logis, et, chiens muets, le regard seul avancé hors de la niche, ils flairent et regardent la bande nocturne qui se rue dans la maison.

L’autre jour, le Rappel leur criait, ami désespéré : « Allons, les représentants de Paris, allons Louis Blanc, Edgar Quinet, Martin Bernard, Peyrat, Schoelcher et les autres ! Parlez ! On n’a pas écouté Jean Brunet ? À votre tour ! Et si l’Assemblée ne vous écoute pas non plus, parlez à la France. Faites à Versailles ce que l’Union Républicaine fait à Paris. Aidez-la à créer cette force morale que n’atteignent pas les chassepots ni les mitrailleuses. Vous êtes restés là-bas ; c’est sans doute pour y faire quelque chose. Qu’attendez-vous ? Qu’il n’y ait plus rien à faire ? »

Et Victor Schoelcher qui, parmi nos représentants était encore une honorable exception, car lui, du moins, s’était rallié à l’Union de conciliation, bien qu’il nous donnât tort, M. Schœlcher vient de nous adresser une proclamation qui nous étonne de sa part, car elle ressemble déplorablement à celle que nous fit, il y a cinq semaines, l’amiral Saisset : « Fiez-vous à M. Thiers, il a promis que tout serait oublié, une fois l’ordre rétabli. Ces paroles comprennent une amnistie pleine et entière, qu’au besoin un vote de l’Assemblée ne manquerait pas de garantir. »