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journal de la commune

pas. Et si l’on nous objecte que nous avons attaqué et le 18 mars et le 2 avril, je réponds : « Quand bien même nous attaquerions, nous défendrions les lois, l’ordre public, l’ordre social, tout entier, car vous êtes le pays, ô nobles membres de l’Assemblée, vous êtes la civilisation tout entière ; votre triomphe est le triomphe de l’ordre, qui est en même temps la Liberté la plus pure » !

— J’ai écouté M. Thiers attentivement. Telle est la décalque fidèle de l’impression que son discours a laissé dans ma mémoire.

Mais la savante harangue de M. Thiers, admirable de perfidie, eût été incomplète sans la contre-partie que lui donna son ami, M. Audren de Kerdrel (mieux vaut dire son ennemi). Grand, maigre, sec, ce noble Breton a la prétention d’être le chef du groupe monarchique et non moins que le député de Carayon Latour, le confident de sa Majesté le Roy de France, Henry cinquième du nom, M. Audren parle avec recherche et suffisance, il s’admire à lui tout seul plus que cinquante mille hommes de bonne volonté ne pourraient jamais l’admirer ; et jamais il n’a manqué l’occasion de faire une maladresse. Ses collègues, qui l’ont gratifié du sobriquet d’Audren l’Intempestif, le virent avec terreur monter à la tribune et l’occuper en maître :

« Monsieur Thiers a été si habile, si habile, que le commun peuple de nos honnêtes campagnes et les bons bourgeois de nos villes, et même plusieurs de nos amis pourraient s’y tromper. Je viens loyalement et discrètement leur dire le mot de l’énigme, mais qu’on n’aille pas le répéter à Paris. Quand M. Thiers prétend qu’ils sont à Paris quelques criminels seulement et une poignée de malfaiteurs, il faut comprendre cela comme une précaution oratoire, car si ces brigands n’étaient pas d’accord avec la majorité de la population, il leur serait impossible de faire contre notre vaillante et superbe armée une résistance si opiniâtre. Quand M. Thiers ne parle que du châtiment à infliger aux assassins des généraux Lecomte et Clément Thomas, c’est pour ne pas effrayer les faibles d’esprit et les personnes sentimentales, car vous savez tous que cent mille gardes nationaux au moins sont les complices de ces lâches meurtriers et qu’aucun d’eux, non pas un seul,