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future route des indes

seront plus livrés aux caprices des conquérants et des rois héréditaires, quand l’homme, suivant l’antique prophétie, aura procuré la victoire définitive au vieil Ormuzd, le génie du Bien, par l’acuité de son intelligence et la force de son bras, la Perse reprendra les avantages qu’elle eut autrefois dans l’économie générale du monde. Ce qui fit jadis son importance, c’est d’avoir été le lieu de passage obligé de tous les progrès entre les peuples de l’Orient et ceux de l’Occident : elle reprendra ce rôle d’intermédiaire naturel pour l’Inde et l’Europe, car la géographie le veut ainsi. De même que la route océanique si détournée qui doublait le continent africain par le cap de Bonne Espérance a été remplacée par la voie relativement courte qui passe par le canal de Suez, de même cette ligne de navigation devra laisser un jour ses voyageurs au chemin direct de 8 000 kilomètres qui, par Vienne, Constantinople, Bagdad, Ispahan et Kandahar, ou par Perekop, Kertch, Tiflis et Téhéran, transportera les Occidentaux en moins d’une semaine à Kuratchi, à Bombay, à Delhi, dans n’importe quelle cité de l’immense réseau de l’Inde. Ce pays de l’Iran, duquel les voyageurs s’écartent prudemment aujourd’hui, deviendra un centre d’appel où convergeront les voies majeures de la civilisation. Les Occidentaux apprendront alors à connaître mieux leurs frères de langue, de mœurs et de génie, dont tant de siècles de culture différente les avaient éloignés, et renoueront avec eux les liens de la parenté antique. Ils comprendront aussi pourquoi la lutte d’influence entre l’Angleterre et la Russie à propos du territoire persan a duré pendant des générations et soulevé tant de haines. La possession de Constantinople pour laquelle on a versé tant de sang ne vaut pas celle des chemins, aujourd’hui presque déserts, qui se rencontrent dans les marais du Seïstan.

A l’est de la Perse et de l’Afghanistan, le front de bataille se continue pour les deux puissances en conflit ; mais, dans cette région, les conquêtes de la Russie, bien différentes en cela des annexions de territoire, faites par l’Angleterre, ont cet avantage capital de s’accomplir comme par un phénomène de croissance naturelle et suivant des lois d’affinité géographique. Chaque pays limitrophe s’agrège facilement à la contrée voisine déjà conquise. De même que l’Arménie du sud continue naturellement les vallées et les montagnes de l’Arménie du nord ; de même que les rives méridionales de la Caspienne complètent harmonieusement le cercle du littoral russe ; de même le cours de l’Oxus se continue par de hautes vallées jusque