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début d’une ère nouvelle

L’Iran est la contrée de l’Asie dont les conditions géographiques ont été le plus profondément changées et comme renversées par l’extension du monde civilisé. Le plateau d’Elam, si heureusement situé jadis pour la constitution d’une individualité nationale bien caractérisée, en même temps que d’une invincible puissance militaire, cette forteresse naturelle qui s’avançait en promontoire au-dessus des terres fécondes de la Mésopotamie et qui, d’un autre côté, se trouvait défendue par des mers et des solitudes, cette contrée superbe, source de vie d’où la civilisation s’épanchait à l’Occident vers l’Europe, à l’Orient vers les Indes, se trouve maintenant livrée d’avance aux entreprises des deux puissances rivales qui l’assiègent, et précisément des deux côtes où elle était inattaquable autrefois. Le golfe Persique n’est actuellement qu’une immense rade pour les navires anglais qui débarquent leurs marins en conquérants, tantôt sur un point, tantôt sur un autre ; sur le revers septentrional, la mer Caspienne est un lac entièrement russe, tandis que Cosaques et Turkmènes enrégimentés n’attendent qu’un signal pour escalader les pentes extérieures du plateau et redescendre vers Téhéran : déjà leurs routes montent à l’assaut de tous les points stratégiques.

Après le passage dévastateur des Mongols sur le plateau d’Iran, la puissance militaire du royaume ne pouvait que décliner par suite de l’inégalité très grande que les différences de l’armement ont créée à l’avantage des nations occidentales, même des Turcs, dans leurs relations avec la Perse. Pourtant les Iraniens reprirent encore deux fois l’offensive. Le chah Abbas, à la fin du seizième siècle, puis l’aventurier Nadir-chah, cent cinquante ans plus tard, firent grande figure dans le monde musulman, mais leur force ne se porta guère que du côté de l’Orient. Nadir, établissant sa capitale à Meched, vers l’est du Caucase iranien, refoula devant lui les guerriers afghans et descendit jusque dans l’Inde, où il détrôna le Grand Mongol ; au nord-ouest, il put rejeter les avant-postes des Russes jusqu’au pied du Caucase ; mais ce fut le dernier effort extérieur de la Perse et, depuis cette époque, le royaume dut se borner strictement au souci de ses propres affaires intérieures.

Ce renversement de l’histoire, conséquence du changement de valeur et d’importance qu’ont subi les conditions du milieu géographique pendant le cours des siècles, se présente pour la Perse d’une manière vraiment tragique. La solidité naturelle et la continuité des remparts extérieurs de l’Iranie, l’unité intérieure de la contrée en avaient fait une terre