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l’homme et la terre. — russes et asiatiques

cadavres de leurs bijoux et de leurs amulettes. Ce n’était point chose rare que de percer le mollet d’un esclave pour y passer une corde que le Turkmène attachait à l’arçon de sa selle. Le malheureux courait à côté du coursier : s’il tombait, épuisé, malgré les coups de fouet qui lui rendaient la force du désespoir, le cavalier coupait la corde, et l’esclave gisait râlant sur le sol.

Naguère les conditions géographiques de la chaîne bordière que forme le Caucase iranien rendaient les guerres entre voisins d’en haut et d’en bas absolument inévitables et incessantes : l’eau était nécessaire aux uns et aux autres. En effet, les Iraniens tiennent à garder possession, dans toute la longueur du cours, des ruisseaux qui sourdent sur les hauteurs et, plutôt que de les laisser tarir dans le désert, ils cherchent à les capter en entier pour leurs cultures par des canaux d’irrigation. De leur côté, les pillards de la plaine entendaient ne pas se laisser enlever les aiguades accoutumées ; toute goutte d’eau qui leur était ravie devait être rachetée par le sang. D’ailleurs, ces nomades étaient également agriculteurs et avaient besoin d’eau pour leurs champs qu’ils faisaient cultiver par des captifs recrutés çà et là et travaillant sous les coups de lanières en cuir. Il ne leur suffisait donc pas de posséder les mares du Daman-i Koh ou « Piedmont », mais ils cherchaient aussi à remonter vers les sommets et les vallées de l’intérieur pour s’emparer de la région des sources. La guerre était donc continuelle et sévissait sur tous les points à la fois avant que les armées russes eussent immobilisé les populations dans le cercle prescrit. Les nomades touraniens montaient à l’assaut du plateau d’Iran lentement, par empiètements successifs, et nul n’avait plus l’audace de leur résister. Près de chaque source des hautes vallées se montrent les tours de défense où se réfugiaient les indigènes quand un cri de détresse annonçait l’arrivée d’un alaman, ou horde de ravageurs turkmènes. La conquête russe ayant mis fin à cette guerre incessante et au dépeuplement, les habitants du Khorassan et du Seïstan en éprouvent une telle reconnaissance pour les porteurs de la paix que nombre d’entre eux la témoignent par l’adoption des mœurs et des costumes de la Russie : ils vont jusqu’à saluer en se découvrant la tête, ce qui auparavant eût été considéré comme le comble de l’inconvenance[1].

  1. A. Vambéry, La Géographie, 15 mars 1901.