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droit a la propriété

vrai, glorifiait le droit à la propriété, mais pour ceux qui possédaient déjà, comme dans la parabole de l’Evangile : « Celui qui a aura davantage, et à celui qui n’a rien, on ôtera même ce qu’il a ». Telle était la conséquence forcée de ce maintien du droit romain dans le régime des terres. En réalité, c’est bien cela que la bourgeoisie, enivrée de son accession au pouvoir, entendait par « Droits de l’homme » ; elle proclamait sa puissance politique, corrélation à sa puissance économique et à sa main mise sur le sol producteur. Aussi l’émotion toucha-t-elle au scandale lorsqu’en septembre 1789, un curé d’Issy-l’Evêque, pittoresque village de l’Autunois, prit au sérieux le mot d’égalité et se mit tranquillement à procéder au partage égal des terres. On s’empressa de lui faire savoir qu’il portait la main sur l’arche sainte de la propriété, bien plus sacrée que tous les tabernacles religieux. Les pauvres, les vagabonds devaient rester hors la propriété, hors la loi.

Même politique à l’égard des ouvriers d’industrie. Par la suppression des « jurandes » et des « maîtrises » on libéra le travail de l’armature de lois et de coutumes qui interdisait l’accès des métiers aux artisans ambitieux et aux bourgeois incompétents ; mais les ouvriers n’étaient point armés contre les entreprises de leurs patrons. Les « défenseurs de toutes les libertés », c’est-à-dire les législateurs, interdirent aux ouvriers par la loi du 14 juin 1791, le droit de se coaliser pour la défense de leurs intérêts, qualifiés de « prétendus » dans le texte officiel. Chapelier, le rapporteur de cette loi, qui, sous diverses formes, a toujours prévalu depuis, établit très nettement la théorie qui devait permettre aux patrons isolés ou associés de briser toujours la résistance des ouvriers isolés. « Il n’y a plus de corporations dans l’Etat, disait-il,