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scandinavie et russie

plète, puisque le pays autonome cherche un roi (1905) et n’a pas osé aller jusqu’au bout de sa pensée : la Scandinavie, tranquillisée du côté de la Russie, est toujours dominée par la crainte de ses autres voisins.

Pendant longtemps, le double royaume de Suède et Norvège — sous la présidence constitutionnelle du même roi — a pu craindre l’invasion de la Russie à l’ouest du territoire de laquelle il forme une puissante barrière. Que l’on s’imagine le littoral russe continuant à l’ouest, de la péninsule de Kola au cap Nord, puis au sud-ouest et au sud par toute la côte norvégienne de fjords, et du coup, la Russie posséderait bien plus que « cette fenêtre ouverte sur l’Europe » que lui donne la fondation de Saint-Pétersbourg ! Cette façade immense sur l’Atlantique boréal et la mer du Nord, disposant de ports admirables et d’une flotte servie par tout un peuple de marins, exerçait sans doute une telle attraction sur le gouvernement de Saint-Pétersbourg que le peuple de la Péninsule devait chercher à s’appuyer sur l’Allemagne. L’acquisition de ce territoire Scandinave par l’empire russe — ou même d’un fragment, car le domaine moscovite s’approche le long de la Kangama à moins de 30 kilomètres de la mer libre[1] — aurait forcément donné à la rivalité traditionnelle de la Grande Bretagne et de la Russie un caractère tragique. La tentative de russification et de militarisation de la Finlande en 1899 peut être considérée comme un premier mouvement du grand Empire dans la direction de la Norvège septentrionale. La guerre russo-japonaise empêcha la continuation de cette politique, et peut-être les Finlandais sont-ils maintenant assez forts pour que soient définitivement frustrés les désirs du tzar blanc.

Il était donc naturel que, dans l’ensemble, le groupe Scandinave gravitât dans l’orbite de l’Allemagne ou de l’Angleterre, et les événements qui pourraient le délier de ce groupement sont trop récents pour qu’un changement de front ait été possible. Même le Danemark, que des alliances dynastiques devraient rapprocher surtout de la Russie et de l’Angleterre, se laisse entraîner relativement à l’empire germanique dans une sorte de vasselage et doit feindre d’oublier l’outrage national qu’il subit depuis que des ordres de Berlin empêchent les Danois annexés par la force de manifester librement leurs vœux, conformément au traité de 1864.

En entrant dans le monde de la civilisation moderne, les Scandi-

  1. Voir Carte n° 508, page 465.