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l’homme et la terre. — latins et germains

Maroc très peu accessible : les chaînes du littoral forment autant de remparts successifs qui empêchent le trafic et qui même, sur la plus grande partie de l’étendue côtière, ont interdit toute visite d’étrangers. Les îlots et presqu’îles que possède l’Espagne entre Melilla et Ceuta ne sont que des rochers stériles d’où nul sentier ne pénètre dans l’intérieur et où l’on dresse parfois un pavillon de détresse pour demander quelques barils d’eau pure aux embarcations qui passent.

La même politique d’attente et de bon vouloir eût suffi pour rattacher graduellement à la France les diverses oasis qui parsèment le désert au sud de Tunis et d’Alger : l’intérêt économique seul relierait les colonies maurétaniennes aux possessions françaises du Sénégal et du Niger, mais une pareille conduite exclurait l’accomplissement de hauts faits d’armes et par suite l’avancement de brillants officiers. On a donc préféré de coûteuses expéditions militaires aboutissant à des exterminations partielles. Avant ces exploits on avait trouvé moyen de supprimer tout commerce de caravanes : le trafic du Soudan, gêné par les douanes et les exactions, s’était en entier détourné vers le Maroc et la Tripolitaine, et les Touareg étaient devenus d’irréconciliables ennemis. C’est en 1897 seulement, après soixante-sept années d’occupation algérienne, que les agents postaux d’Aïn-Sefra, dans l’extrême sud de l’Oranie, ont, pour la première fois, reçu un courrier de Tombouctou, comprenant une quarantaine de lettres : les indigènes qui accomplirent ce trajet avaient mis plus de trois mois à traverser le désert. Du côté des Français, il a fallu attendre l’année 1900 avant qu’une expédition, celle de Foureau, partie des ports extrêmes de l’Algérie, accomplît entièrement la traversée du désert, non sans grandes fatigues et sans péril de désastre. Il est certain toutefois qu’en parfait mépris du gouvernement français, les marchands touâti et autres, et surtout des guerriers touareg cheminaient librement des frontières de l’Algérie aux rives du Niger : toutes les nouvelles importantes de l’Europe, d’ailleurs plus ou moins modifiées suivant les passions et les espoirs des indigènes, se propageaient à travers les solitudes, le long des pistes des caravanes. Or, le jour viendra où, de par les indications de la géographie, les voies majeures de l’Europe vers l’Amérique du Sud passeront par le Sahara transmaurétanien.

En Europe, le rôle d’importance prépondérante au point de vue matériel appartient incontestablement à la rivale héréditaire de la France,