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l’homme et la terre. — répartition des hommes

d’esthétique futures ! Un diagramme, publié dans l’annuaire de Pétersbourg pour l’année 1892 donne un saisissant exemple de la consommation de vies humaines par cette capitale : partant de l’année 1754, époque à laquelle la population de Pétersbourg était de 150 000 individus, la courbe d’accroissement s’élève en 126 années à 950 000 personnes, tandis que la courbe de population hypothétique, calculée d’après la mortalité et sans tenir compte des immigrants, descend à 50 000 au-dessous de zéro. La natalité ne dépasse quelque peu la mortalité que depuis 1885, année du grand nettoyage. Et dans le monde, combien de villes, BudaPest, Lima, Rio de Janeiro, seraient encore en voie de dépérissement rapide si les gens de la campagne ne venaient combler les vides laissés par les morts ! Si les Parisiens s’éteignent après deux ou trois générations, n’est-ce pas l’odeur pernicieuse de la ville qui en est cause ; si les Juifs polonais sont réformés comme conscrits en plus grand nombre que les jeunes gens des autres nationalités, la faute n’en est-elle pas encore aux villes où ils végètent pauvrement dans le ghetto.

Et que d’agglomérations dont le ciel semble être tendu d’un voile funéraire ! A pénétrer dans une cité fumeuse, telle que Manchester ou Seraing, Essen, Le Creusot ou Pittsburg, on jugera amplement si les œuvres des lilliputiens humains ne suffisent pas à ternir la lumière, à profaner la beauté de la nature. Or, une très faible quantité de charbon échappé à la combustion, un voile continu d’une fraction de millimètre d’épaisseur[1] suffit, surtout si elle s’allie à des brouillards, pour contrebalancer la lumière solaire. L’atmosphère opaque qui parfois pèse sur la ville de Londres est célèbre à juste titre.

D’ailleurs, l’assainissement des centres urbains soulève bien d’autres problèmes que celui de la fumée, en somme facile à résoudre. Le système d’évacuation des vidanges et ordures ménagères, l’épuration des eaux d’égout, soit par des procédés chimiques, soit par leur emploi rationnel en agriculture, sont loin d’avoir reçu des solutions heureuses ou acceptées, et même trop de municipalités semblent ne pas s’inquiéter de ces questions. Le choix d’un sol de roulement ne donnant ni poussière ni boue, l’organisation efficace des transports en commun ont aussi leur influence sur la santé générale.

De nombreux indices montrent que le mouvement de flux qui

  1. Ch. Dufour, Bulletin de la Soc. Vaudoise des Sciences Naturelles, juin-sept. 1895, p. 145.