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restauration des villes

que se sont attaqués les restaurateurs, transformant graduellement chaque maison, rétablissant les escaliers aux larges rampes et les salles aux cheminées monumentales, introduisant partout à grands flots l’air pur et la lumière, amenant l’eau en abondance dans le moindre grenier, ajoutant des bas-reliefs et des ornements aux murailles nues de l’édifice. Le pittoresque des constructions est maintenu avec respect, même accru par des tours, des clochetons, des belvédères, mais sans l’horrible accompagnement des ordures et de la puanteur ; la rue jadis pavoisée de loques a maintenant ses balcons décorés de fleurs et de feuillages. La cité reparaît dans sa fraîcheur nouvelle, de même que, dans un jardin, la fleur rejaillit du pied sans qu’un renversement violent ait bouleversé le sol autour de la tige première.

Mais, dans une société où les hommes ne sont pas assurés du pain, où les misérables et même les faméliques constituent encore une forte proportion des habitants de chaque grande cité, ce n’est qu’un demi-bien de transformer les quartiers insalubres, si les malheureux qui les habitaient naguère se trouvent expulsés de leurs anciens taudis pour aller en chercher d’autres dans la banlieue et porter plus ou moins loin leurs émanations empoisonnées. Les édiles d’une cité fussent-ils sans exception des hommes d’un goût parfait, chaque restauration ou reconstruction d’édifice se fît-elle d’une manière irréprochable, toutes nos villes n’en offriraient pas moins le pénible et fatal contraste du luxe et de la misère, conséquence nécessaire de l’inégalité, de l’hostilité qui coupent en deux le corps social. Les quartiers somptueux, insolents, ont pour contre-partie des maisons sordides, cachant derrière leurs murs extérieurs, bas et déjetés, des cours suintantes, des amas hideux de pierrailles, de misérables lattes. Même dans les villes dont les administrateurs cherchent à voiler hypocritement toutes les horreurs en les masquant par des clôtures décentes et blanchies, la misère n’en perce pas moins au travers on sent que là derrière, la mort accomplit son œuvre plus cruellement qu’ailleurs. Quelle est, parmi nos cités modernes, celle qui n’a pas son White Chapel et son Mile-End road ? Si belle, si grandiose qu’une agglomération urbaine puisse être dans son ensemble, elle a toujours ses vices apparents ou secrets, sa tare, sa maladie chronique, entraînant irrévocablement la mort, si l’on ne réussit pas à rétablir la libre circulation d’un sang pur dans tout l’organisme.

Que de cités sont encore éloignées de ce type de salubrité et