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l’homme et la terre. — répartition des hommes

colline ; des routes futures commencèrent à se montrer sur l’herbe foulée des champs, et des maisons s’emparèrent des quatre angles du carrefour. L’oratoire devint l’église, l’échafaud de guet se fit château fort, caserne ou palais ; le village grandit en ville, puis en cité.

La vraie manière d’étudier une agglomération urbaine ayant vécu d’une longue existence historique est de la visiter en détail conformément aux phénomènes de sa croissance. Il faut commencer par le lieu que sacra presque toujours la légende, où fut son berceau, et finir par ses usines et ses dépotoirs.

Chaque ville a son individualité particulière, sa vie propre, sa physionomie, tragique ou dolente chez les unes, gaie, spirituelle chez les autres. Les générations qui s’y succédèrent lui ont laissé leur caractère distinctif ; elle constitue une personnalité collective dont l’impression sur l’être isolé est mauvaise ou bonne, hostile ou bienveillante. Mais la ville est aussi un personnage très complexe, et chacun de ses divers quartiers se distingue des autres par une nature particulière. L’étude logique des villes, à la fois dans leur développement historique et dans la physionomie morale de leurs édifices publics et privés, permet de les juger comme on jugerait des individus : on constate quelle est la dominante de leur caractère et jusqu’à quel point, dans la complexité de leurs influences, elles ont été utiles ou funestes au progrès des populations qui se sont trouvées dans leur rayon d’activité. Il est des villes que l’on voit tout d’abord consacrées au travail, mais qui peuvent singulièrement contraster entre elles, suivant le fonctionnement normal ou pathologique donné aux industries locales, qu’elles se développent en des conditions de paix, d’égalité relative et de tolérance mutuelle, ou bien qu’elles soient entraînées dans les remous d’une furieuse concurrence, d’une spéculation chaotique et d’une exploitation féroce de la classe des prolétaires. D’autres villes se montrent à première vue banales, bourgeoises, routinières, sans originalité, sans vie ; d’autres ont été bâties pour la domination, pour l’écrasement des pays environnants : ce sont des instruments de conquête et d’oppression ; à leur vue, on éprouve un sentiment de crainte ou d’horreur spontanée. D’autres encore, à l’aspect toujours vieux, même dans leurs parties modernes, sont des lieux d’ombre, de mystère ou de peur, où l’on se sent pénétré des sentiments d’un autre âge, tandis qu’il est des cités éternellement jeunes qui disposent à la joie, où la moindre charpente prend un profil original, où les maisons sont gaies,