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l’homme et la terre. — internationales

décisif de la Chine. Pas une rencontre sur mer ou sur terre qui ne tournât brillamment à son avantage. A l’embouchure du Yalou, la flotte chinoise fut exterminée ; à l’assaut de Weï-haï-weï, la garnison chinoise dut se rendre. En peu de semaines les forces japonaises avaient mis l’empire à leur merci, et du coup, elles auraient profondément entamé le territoire continental, si les puissances européennes n’étaient intervenues pour que l’équilibre de l’Extrême Orient ne fût pas brusquement modifié en leur défaveur.

L’inauguration du vingtième siècle se fit dans la Fleur du Milieu par une intervention de toutes les puissances « civilisées », y compris le Japon et les États-Unis d’Amérique. La véritable raison de cette invasion collective n’est pas de celles que l’on puisse avouer : les instruments diplomatiques ne constatent point avec une candeur naïve que des États peuvent avoir comme de simples particuliers l’amour du pillage pour mobile. Le Japon ayant annexé à son archipel national la grande île de Formose, ainsi que d’autres îlots, la Russie voulut aussi prendre un grand morceau de la Chine ; la France, l’Allemagne, l’Angleterre tenaient également à s’emparer de quelque bon lambeau.

Mais non seulement chaque grande puissance aspirait à saisir un gage matériel de conquête consistant en bonnes terres, en ports, en marchés de commerce, il lui fallait aussi des privilèges d’industrie et de monopole en telle ou telle province de l’intérieur ; les négociants d’Europe et des États-Unis jetaient leur dévolu sur les mines connues ou présumées, sur telle ou telle série de stations pour des voies ferrées à construire. Et, plus avides que les diplomates, plus insatiables que les marchands eux-mêmes, les missionnaires protestants et catholiques réclamaient de toute part des paiements, des pensions, des excuses avec cadeaux expiatoires, et en outre des vengeances pour des persécutions et des outrages, vrais ou prétendus tels. Le concert des réclamations fut entendu par les puissances d’Europe, mais toutes voulaient intervenir à la fois, de peur que l’une ou l’autre d’entre elles fût trop avantagée lors de la distribution des prises. Ce que l’on appela la « guerre » parut d’autant plus horrible qu’il n’y eut point de résistance : ce ne fut que massacre et pillage ; tous s’y complaisaient d’abord et se félicitaient mutuellement de leurs crimes, puis, lorsque l’Europe s’en étonna, meurtriers et pillards se lavèrent les mains, accusant leurs alliés : Français, Anglais, Russes,