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ligne du cap au caire

Portugal, reconnue depuis trois siècles par le droit public européen, de posséder toute la largeur du continent africain, de la côte à la contre-côte, de l’Angola au Moçambique. Bien plus, après avoir pris le territoire qui leur convenait, les Anglais étendent sur le reste des possessions portugaises une sorte de protectorat et, dans l’opinion générale des prophètes politiciens, tout l’ancien domaine lusitanien passera lot ou tard dans les mains de l’Angleterre. Le Portugal, devenu feudataire de la Grande Bretagne, ne serait en réalité que l’usufruitier des richesses territoriales dont le maître éminent s’emparera par annexions successives en proportion des intérêts du moment. Pendant sa guerre contre les Boers des républiques hollandaises, ne s’est-il pas servi du port de Lourenço-Marquez comme si cet admirable havre lui appartenait officiellement ?

À ces très importantes possessions de la pointe méridionale d’Afrique, où se trouvait, avant l’ouverture du canal de Suez, le lieu d’étape nécessaire pour les navigateurs entre les terres riveraines de l’Atlantique et celles de la mer des Indes, l’Angleterre a su joindre une bande de terrains qui s’étend au nord jusqu’au Tanganyika et qui reprend non loin de l’autre extrémité du lac pour se continuer par le bassin nilotique jusqu’à la Méditerranée. Malgré la lacune séparant en deux cette zone médiane de l’Afrique, les nationalistes anglais comptent l’utiliser à leur profit par la construction d’une voie ferrée de sept à huit mille kilomètres de longueur qui rejoindrait le port du Cap à celui d’Alexandrie et que des embranchements rattacheraient de distance en distance aux marchés du littoral sur l’Océan Indien et la mer Rouge. On peut considérer plus de la moitié de cette œuvre comme achevée déjà, puisque le chemin de fer du sud traverse le Zambèze — la ligne a été ouverte en septembre 1905 —, que celui du nord atteint Khartum, et que, dans les espaces intermédiaires, les bateaux à vapeur vont et viennent sur le Nil et sur les grands lacs. La Grande Bretagne est donc la souveraine prépondérante de toute la moitié orientale de l’Afrique, où les autres puissances n’ont que des colonies d’importance secondaire. Cependant tout ne se présente pas encore au gré des ambitieux de territoire, car les monts de l’Ethiopie, où le Nil Bleu prend naissance, se dressent encore insoumis comme une haute citadelle, et l’Egypte anglaise reste incomplète aussi longtemps qu’elle ne possède pas les sources du fleuve et ne peut en régler le cours pour l’irrigation de ses plaines