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la prusse et l’autriche

Après ce premier coup qui assurait la position de la Prusse du côté du nord et lui donnait une frontière stratégique parfaite, à la fois offensive et défensive, il s’agissait de faire un nouveau mouvement plus décisif encore, en expulsant l’Autriche de la Confédération germanique. La combinaison semblait d’autant plus difficile à réaliser que l’Autriche avait prêté son appui à la Prusse pour conquérir le Holstein, et le premier acte de reconnaissance allait être de lui déclarer la guerre. On n’hésita point, de savantes manœuvres diplomatiques réussirent à brouiller les deux grandes puissances allemandes. La guerre éclata (1866) et la Prusse, mieux armée, préparée depuis longtemps, tout à fait consciente de son but, et bien en règle avec l’Europe où elle s’était assuré l’alliance de l’Italie et la non-intervention des Français et des Russes, marcha presque mathématiquement à la victoire. Deux semaines après la déclaration de guerre, elle gagnait la bataille décisive de Sadowa et profitait très habilement de son triomphe pour ne demander guère à l’Autriche que des satisfactions morales, d’autant plus efficaces en réalité qu’elles imposaient au vaincu une sorte de gratitude. Le vieil empire de Habsburg se trouvait exclu de la Confédération germanique, tandis que les autres États de l’Allemagne, royaumes, électorats, principautés et villes « libres » changeaient d’orientation et gravitaient de force dans le cercle de l’hégémonie prussienne.

Ainsi la nation allemande, qui, en 1848, avait tenté de se constituer spontanément tout entière et par la libre volonté de ses peuples, reparaissait vingt ans après, reformée par la volonté d’un maître, mais, cette fois, incomplète, mutilée, puisque les Allemands autrichiens étaient rejetés en dehors du nouveau groupement, et qu’on devait s’en remettre à des guerres ou à des révolutions futures pour terminer l’œuvre commencée. Au fond, cette politique « de fer et de sang », dans laquelle les historiens adorateurs du succès virent le témoignage du génie monarchique de la Prusse, avait consisté à empêcher, par la force et par la ruse, la formation libre et pleine de la nation allemande, pour la refaire plus tard sous l’aspect d’une armée, dont les cadres ne comprennent pas encore tous ses régiments.

L’unité pangermanique n’est donc pas encore faite ; quant à l’unité italienne, on peut considérer cette étape de l’histoire comme définitivement parcourue. Pourtant l’Italie, dans sa campagne contre l’Autriche, n’avait pas été heureuse. Elle avait perdu sur terre la bataille de Custozza