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internationale ouvrière

racines et les radicelles d’un grand arbre. C’est donc à juste titre que l’on peut signaler tels et tels groupes socialistes, même avant la révolution de 1848, comme ayant préparé l’Internationale, et quelques vanités de parti en ont profité pour s’attribuer la gloire d’avoir donné l’impulsion décisive à ce mouvement. Le fait est qu’après de multiples initiatives, la société nouvelle apparut, en 1864, dans les réunions populaires de Londres, absolument et définitivement consciente de son but, parlant un langage dont tous les termes avaient été scrupuleusement précisés, car les hommes qui les prononçaient s’adressaient au monde entier et savaient que leurs paroles seraient entendues de siècle en siècle. Comprenant que « l’émancipation des travailleurs ne se ferait que par les travailleurs eux-mêmes », l’association internationale faisait appel à toutes les énergies de ceux qui travaillent pour combattre tout monopole, tout privilège de classe, et les mettait en garde contre toute participation aux passions et aux intrigues de la politique bourgeoise. Dans sa teneur générale, le manifeste des ouvriers internationaux retentissait bien comme un cri de guerre contre tous les gouvernements, mais, par delà ceux-ci, il s’adressait fraternellement à tous les hommes envers lesquels « la vérité, la justice, la morale devaient être la ligne de conduite, sans distinction de couleur, de foi ni de nationalités. Pas de devoirs sans droits, pas de droits sans devoirs ! » Peut-être y avait-il un mot de trop dans cette proclamation des ouvriers associés, le mot de « foi », car l’homme qui croit à un pouvoir surnaturel et se conforme aveuglément aux ordres qu’il suppose lui être envoyés du ciel ne peut avoir aucune compréhension de la liberté et, par conséquent, n’appartiendra jamais à une association de camarades revendiquant leurs droits et les conquérant de haute lutte.

L’émotion fut grande dans le monde de la classe possédante qui se distribue les places et qui fait travailler à son profit les multitudes des paysans et des ouvriers. Entraînés par la logique des choses, qui montre déjà dans le présent la réalisation de l’avenir, la bourgeoisie s’imagina que la foule des travailleurs faisait partie de l’élite groupée en Internationale et, dans sa terreur, elle crut voir soudain des milliers d’ouvriers hostiles se dresser devant elle. C’était une illusion dont elle se vengea plus tard par des emprisonnements, des bannissements et des fusillades, mais, si faible que fût au commencement le nombre des hommes conscients de la force de l’idée, comprenant l’antagonisme absolu du