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doctrine de l’esclavage

Et c’est en effet ce que les États du Sud décidaient à l’envi. Dans le courant de l’année 1859, la législation de l’Arkansas votait une loi de bannissement contre tous les affranchis de l’Etat, et le 1er janvier suivant, elle faisait mettre aux enchères et vendre comme esclaves tous les malheureux qui ne s’étaient pas résolus à quitter leurs foyers. Même loi de bannissement promulguée l’année suivante dans le Missouri. La Louisiane, le Mississippi s’étaient également empressés de suivre l’exemple donné par l’Arkansas. Ailleurs on arrivait au même résultat par des résolutions hypocrites, sous prétexte de punir la paresse, l’ivrognerie ou l’immoralité ; or, quel nègre ne risquait d’être accusé d’immoralité par le blanc qui voulait le faire travailler à son profit ! Même aux portes de la capitale de l’Union, les esclavagistes du Maryland demandaient que les soixante-quinze mille affranchis de l’Etat fussent de nouveau réduits en esclavage ou distribués entre les citoyens blancs. Et quelle était la raison sur laquelle ils appuyaient leur atroce demande ? C’est que le nègre libre se corrompant par l’oisiveté, le devoir du blanc était de le « moraliser par le travail ». C’est par dévouement que les éducateurs de la société voulaient bien consentir à devenir propriétaires de chair humaine ! Il est vrai que la législature n’osa pas promulguer franchement la loi, mais elle la vota indirectement en autorisant les blancs à prendre les enfants des noirs de leur propre gré et en « permettant aux gens de couleur de renoncer à leur liberté » ! effrayante permission qui ressemblait à un ordre. Désormais tout affranchissement de nègre était absolument interdit au propriétaire, si ce n’est par ordre de la législation, quand le nègre avait révélé l’existence d’un complot contre les blancs : le traître à sa cause était le seul qui fût digne de la liberté !

Ainsi l’esclavage et cette servitude déguisée qu’on appelait la liberté du noir allaient s’aggravant d’année en année en vertu de l’importance des intérêts menacés. Le temps n’était plus où, sous l’influence de la philosophie du dix-huitième siècle, les planteurs étaient les premiers à déplorer la « hideuse institution » et prenaient pour argument contre l’Angleterre le « crime » de leur avoir légué le déplorable héritage. Au début du dix-neuvième siècle, dans le Congrès même, Mason, Jefferson tonnaient contre ce crime auquel on les avait condamnés contre leur vouloir, et c’est principalement parmi les planteurs que se recrutaient les sociétés d’émancipation des noirs. Même en 1831 et 1832, la législature de la Virginie discutait les mesures à prendre pour arriver à l’extinc-