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le japon et l’étranger

rieuse (1869) des alliés que couronnèrent l’assaut de Péking, l’incendie et le pillage du Palais d’été furent les principaux événements de l’invasion franco-anglaise qui établissait nettement la supériorité militaire des puissances occidentales. Après ces catastrophes, le gouvernement chinois dut s’assouplir et, successivement, suivant les exigences des ambassadeurs étrangers, de nouveaux ports s’ouvrirent au commerce européen, la liste des privilégiés s’accrut et le contrôle des douanes leur fut livré. En même temps, les missionnaires catholiques, et protestants, s’établissaient dans l’intérieur, aux endroits qui leur convenaient, et cumulaient, aux yeux de la foule, le double avantage d’être à la fois des fonctionnaires chinois et des protégés de l’étranger.

Au Japon, un changement analogue s’était produit, mais d’une manière plus simple, plus noble et plus dramatique : les résultats politiques et sociaux en furent peut-être, pendant le dix-neuvième siècle, la plus grande merveille de l’histoire, car il ne s’agit de rien moins que de l’arrachement d’une nation au cycle fermé de la civilisation orientale et de son entrée presque soudaine dans le monde européanisé. Evidemment pareille transformation ne peut s’expliquer que par une pression intérieure d’une puissance extraordinaire. On se laisse aller volontiers à croire que la sommation du commodore américain Perry, signifiée en 1853 au gouvernement japonais, d’avoir à ouvrir au commerce des Etats-Unis les ports de l’empire, fut la raison décisive de la grande révolution : elle n’en fut que l’occasion. Sans doute la république américaine, propriétaire depuis quelques années de la partie du littoral qui, dans le Nouveau Monde, fait précisément face au Japon, devait chercher anxieusement des marchés étrangers pour son nouveau port de San-Francisco ; de même la Russie et toutes les puissances européennes qui s’empressèrent d’imiter les Etats-Unis et de réclamer aussi le libre accès des ports japonais pour leurs navires avaient un intérêt majeur à trouver un débouché commercial de l’importance du Japon, mais si grande qu’ait été la force matérielle et morale développée par cette convergence d’efforts extérieurs, elle ne pouvait triompher de la politique traditionnelle du Japon, religieusement observée pendant plus de deux siècles, qu’à la condition d’être désirée par une grande partie de la noblesse féodale des daïmio, qui gouvernait alors, sous l’apparente domination du siogoun et à l’ombre sainte du mikado. La curiosité de la noblesse japonaise était