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l’homme et la terre. — la révolution

clandestins. Comme chef de la maçonnerie, le duc d’Orléans s’essayait déjà au rôle de royauté bourgeoise que la « branche cadette » devait exercer effectivement au dix-neuvième siècle. Presque tous les personnages qui devinrent fameux pendant les grandes journées de la Révolution avaient fait leur noviciat d’hommes politiques dans les loges des sociétés secrètes, et c’est aussi dans le mystère que l’on formula le « ternaire sacré », les trois mots : Liberté, Egalité, Fraternité, choisis plus tard pour symbole de la République, admirable devise encore si éloignée d’être devenue réalité !

La part des diverses fractions géographiques de la France dans l’ensemble de l’œuvre révolutionnaire fut très inégale : en un vaste domaine tous les champs ne se ressemblent point en fécondité ; il en est même qui ne produisent rien. Des provinces entières traversèrent la période dramatique des événements sans que leur rôle prît un caractère actif. Le midi albigeois et toulousain, notamment, avait été trop privé de force, de sève vitale lors de son écrasement par les hordes féodales du nord pour qu’il eût retrouvé déjà un peu de vigueur et d’élan à mettre au service des libertés publiques.

En d’autres provinces, au contraire, notamment dans l’est du royaume, les émeutes populaires forment un prologue à la prise de la Bastille et acquièrent une importance toute spéciale par leur nombre et leur incessante répétition. L’insubordination croissante des « gens sans aveu, réfractaires et faux-sauniers », signalée par les autorités de Besançon entr’autres, dès 1788, les actes de brigandages égalitaires qui avaient rendu le nom de Mandrin si populaire dans les basses classes, les pamphlets irrespectueux qui circulaient partout, les marchés pillés, les boulangers pendus, les châteaux qui flambent, les archives et les parchemins brûlés — « les écritures maudites qui font partout des débiteurs et des opprimés »[1] —, tous ces coups de mains locaux furent oubliés dans l’ampleur du mouvement dont ils furent à la fois la préface et l’un des principaux facteurs. Et ces mouvements économiques ne cessèrent nullement à l’approche de la réunion des États Généraux — témoin le pillage des maisons Réveillon et Henriot, les 27 et 28 avril 1789, à Paris — ni durant les années qui suivirent ; on peut même citer la révolte tardive des paysans du canton de Vaud, en 1802,

  1. Cité par Taine, Les Origines de la France Contemporaine.