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l’homme et la terre. — contre-révolution

française ; ils se lançaient vers l’avenir avec toute la naïveté de jeunes barbares n’ayant encore jamais connu les doutes ni les illusions.

Toute l’Europe se trouvait alors en état de fermentation politique : de toutes parts, on réclamait l’accomplissement des promesses faites par la Révolution ou par ses héritiers au pouvoir ; mais c’est principalement en France que se concentrait la lutte entre les partis révolutionnaires et les partisans de la royauté traditionnelle. Charles X, le personnage sans prestige qui occupait le trône de Louis XIV, semblait choisi à souhait par le destin comme un admirable exemple du système monarchique poussé à l’absurde : dépourvu de toute intelligence politique, mais en même temps infatué de son droit divin, il bravait son peuple, l’excitait niaisement par des lois, des arrêtés, des ordonnances dont il n’avait pas la force d’assurer l’exécution. Les partis les plus opposés, républicains et impérialistes, s’étaient réconciliés contre lui. Trois journées de révolution (1830), pendant lesquelles il ne fut résolument défendu que par des mercenaires étrangers, suffirent pour le décider à la fuite. Un fait caractérise l’homme : durant le voyage de Rambouillet à Cherbourg, où il s’embarqua le 16 août pour l’île de Wight, une des grandes préoccupations de Charles X était de trouver pour son dîner une table carrée, les tables rondes n’étant pas admises par l’ancienne étiquette royale ! Après un séjour de deux années dans un palais de Grande Bretagne, il mourut oublié en Autriche.

Un autre roi l’avait remplacé, celui que le vieux Lafayette présentait au peuple : « Voici la meilleure des Républiques ! » Mais Louis-Philippe fut avant tout la bourgeoisie triomphante. La Révolution, qui avait débuté à la fin du dix-huitième siècle par l’éloquente revendication des droits de la bourgeoisie, n’acheva complètement son œuvre qu’avec l’avènement du « roi citoyen ». La grande industrie, se développant sur le modèle fourni par l’Angleterre, s’était emparée de la France et se donnait une charte de gouvernement qui, par le moyen de l’électorat censitaire et le fonctionnement des deux chambres, consolidait le pouvoir entre les mains des propriétaires du sol, des riches manufacturiers et des hauts fonctionnaires. La société légale, composée d’un million d’électeurs environ, avait enfin réalisé son idéal après ses deux expériences manquées, de la réaction guerrière et de la Restauration. Les révolutions s’y reprennent souvent à deux fois avant que les résultats en