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l’homme et la terre. — orient chinois

le sont dans les pays occidentaux : en Chine, de même que chez diverses populations de la Mésopotamie, la rose des vents place le nord à gauche et le sud à droite, en sorte que l’est tient le haut de l’instrument. À l’époque où les Chinois inventèrent la boussole, — on raconte qu’au XIe ou XIIe siècle antérieur à l’ère vulgaire, une ambassade ayant apporté des présents à l’empereur, il lui fut donné en cadeau cinq chars dans chacun desquels une « figure » pointait constamment vers le sud pour indiquer aux voyageurs leur chemin de retour[1] —, les Chinois durent être surtout frappés de la direction suivie par la branche méridionale de l’aiguille : ils disent que l’aimant marque le sud, tandis que les Européens, regardant exactement en sens inverse, portent leur attention sur l’autre pointe se dirigeant vers le nord. Ce contraste bizarre a probablement pour cause la différence d’orientation géographique suivie par les peuples eux-mêmes dans leur mouvement de migration. Tandis que les Occidentaux, en leur progrès graduel de la Méditerranée vers l’Océan, obliquaient dans la direction du nord, de la Grèce et de l’Italie vers l’Allemagne et l’Angleterre, les Chinois s’avançaient en sens opposé, des plaines de la Dsungarie vers la double Potamie du Fleuve Jaune et du Fleuve Bleu. N’est-il pas naturel que ces deux moitiés de l’humanité, marchant en des voies contraires, aient reporté leur propre mouvement sur l’aiguille de la boussole ?

On croit que les Chinois reçurent de l’Occident l’écriture cunéiforme telle qu’on la retrouve sur les monuments de Ninive et sur la haute paroi de Bagistun. La tradition dit que les immigrants conservaient la relation des faits au moyen de signes ressemblant à des « langues de feu » ou à des « gouttes d’eau qui gèlent en tombant » ; l’expression de laquelle on se servit dans le nord de la Chine pour désigner l’écriture apportée d’outre-monts est le terme de « griffe d’oiseau ». Il est vrai que tous les petits Chinois apprennent dans une encyclopédie populaire l’emploi de cordes analogues aux quippa des Quichua péruviens, pour figurer les idées : « Dans la haute antiquité, on noua des cordes », c’est ainsi que s’exprime le manuel des écoliers[2]. Mais en ce vaste pays où les immigrants de l’Ouest trouvèrent déjà des civilisations très avancées, il y eut place pour des évolutions diverses.

  1. F. de Richthofen, China, I, pages 388 et 432.
  2. Alexandre Ular, La Littérature en Chine, Revue Blanche, 1er sept. 1899, p. 19.