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l’homme et la terre. — orient chinois

« Mûrs » ou « Verts », suivant l’avancement que l’on constate dans les phénomènes d’absorption sociale et politique de ces peuplades. Avec la longue patience qui est le caractère distinctif de tout peuple essentiellement agriculteur, les paisibles travailleurs du sol essayèrent rarement de conquérir par la force vive les populations insoumises des montagnes : ils s’en sont remis à la lente action du temps, aux mariages, au défrichement des forêts, à l’introduction de nouveaux besoins et de nouvelles industries : c’est ainsi que peu à peu ils arrivent à « cuire », à « mûrir » les tribus sauvages vivant dans les enclaves des monts ; une sorte d’imbibition lente, semblable à celle de l’eau dans la terre, produit lentement des transformations ethniques.

Une charmante expression, « planter le saule », témoigne de l’action bienfaisante exercée graduellement par la civilisation chinoise sur les peuples qui l’entourent. Tandis que tant d’autres nations, se comparant avec orgueil à des bêtes féroces ou à des oiseaux rapaces, se vantent d’avoir déchiré des proies vivantes de leurs serres ou de leurs griffes, les Chinois rappellent doucement l’apport d’un arbre comme un emblème de leur culture et de l’élévation des mœurs qui en est la conséquence : le saule au feuillage argenté, que la Chine a choisi pour symbole, n’a rien qui puisse faire songer à la violence de la conquête ni aux ruses du commerce ; il ne parle que de paix, des charmes de la vie tranquille, et fait songer aux heureuses causeries par les beaux soirs d’automne.

Les faits en témoignent. Les immenses conquêtes de la Chine se sont accomplies beaucoup moins par la force des armes que par l’influence pénétrante de l’exemple. En réalité, la nation, prise en masse, a suivi le conseil donné par Confucius à un empereur qui voulait augmenter ses troupes pour triompher d’un peuple du midi : « Licencie toute ton armée, disait-il, emploie tout ce qu’elle coûte aujourd’hui à instruire tes sujets et à développer l’agriculture ; de lui-même ce peuple du sud chassera son prince et se soumettra à ta puissance. »

Toutefois, il faut le dire, aucune rencontre des nations ne s’est jamais produite sans qu’il y ait eu des injustices commises de la part des plus forts. Les annales chinoises nous parlent de populations civilisées qui furent violemment déplacées, chassées des plaines qu’elles cultivaient et refoulées dans les montagnes. Il en serait résulté