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l’homme et la terre. — chevaliers et croisés

Pise et de Gênes s’emparent de la Sardaigne, que Mogehid, le seigneur de Dénia, sur la côte de Valence, avait rattachée à sa principauté. Les Baléares, qui appartenaient au même prince arabe de l’Espagne, ne tombèrent au pouvoir des républiques italiennes que pendant le siècle suivant ; mais déjà la grande île qui occupe le centre même de la mer Intérieure, la Sicile, avait été prise par les Normands. De pirates, ceux-ci étaient devenus princes et rois, et tandis que Robert Guiscard, fils de Tancrède, s’emparait des provinces méridionales de l’Italie, son frère Roger traversait le détroit de Messine, entraînant ses chevaux à la nage derrière les bateaux. La Sicile était alors divisée en petites principautés, et le chef normand put s’attaquer à Palerme, avec l’aide d’une flottille pisane, sans avoir à combattre tous les occupants sarrasins (1072). Successivement il réduisit les diverses parties de l’île, et en 1091, quelques années avant la grande croisade vers la Palestine, il escaladait la dernière forteresse, le Kasr-Yan ou Castro-Giovanni, l’antique Enna, le « nombril de la Trinacrie », le lieu sacré sur lequel s’élevait jadis l’autel de Cérès. Les « Croisés » possédaient ainsi pour leurs entreprises un point d’appui au centre de la Méditerranée.

Cependant l’initiative de l’attaque directe contre les profanateurs du tombeau vénéré ne vint point des Normands : elle partit surtout de France où la parole du pape avait retenti. Tout d’abord, ce fut une ruée furieuse, désordonnée, chaotique. Les multitudes accouraient, nobles, valets, serviteurs, vagabonds, se dirigeant vers les pays du Soleil Levant et ramassant d’autres foules en chemin. L’invasion gauloise recommençait vers l’Orient, mais certainement plus incohérente que ne l’avait été celle des Volces Tectosages, quatorze siècles avant eux. Tout cela se mouvait comme une inondation de boue, couvrant de ses fanges toute la région traversée. Après cette cohue qui s’usa de massacre en massacre et de maladie en maladie dans la traversée de la Hongrie et de la Bulgarie, puis dans les premières rencontres sur le sol de l’Asie Mineure, venaient les grandes armées que commandaient les chevaliers les plus fameux de la chrétienté et qui se composaient principalement de Français, de Normands, de Lorrains, de gens des Ardennes et des Pays-Bas. Godefroy de Bouillon, dit Otto von Freysingen, avait été mis à la tête des Croisés parce qu’il connaissait également le langage des peuples romans et celui des Teutons. Il suivit le chemin de l’Europe centrale, tandis que Raymond