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l’homme et la terre. — chevaliers et croisés

Les grandes ambitions de la papauté devaient avoir leur répercussion principale en Italie même, autour du « Patrimoine de l’Eglise », et en Allemagne, dans cet empire dont le chef avait à franchir les Alpes pour venir se faire couronner à Rome. Par un contraste curieux mais bien explicable, puisque l’esprit de révolte naît surtout de l’oppression directe, immédiate, c’est en Italie que le pape rencontra pendant la lutte ses ennemis les plus acharnés et les plus intransigeants ; en Allemagne on eut volontiers obéi aux deux maitres, si leur part respective de domination eut été bien réglée. Mais chacun voulait tout le pouvoir. Entre les deux forces nettement opposées, la conciliation était impossible. Ni le pape ni l’empereur ne consentaient à céder, puisqu’ils étaient l’un et l’autre les représentants de l’absolu. D’un côté la volonté divine, de l’autre la domination universelle. Suivant les intérêts spéciaux et momentanés des princes, des cités, des groupes nationaux, des classes et des castes, des gens de la montagne, de la plaine ou du littoral, les deux adversaires, le pape et l’empereur, recrutaient leurs adhérents de-ci et de-là, et les alternatives de la lutte donnaient la prépondérance à l’un ou à l’autre.

Des historiens se laissent entraîner facilement par l’opposition des mots dans cette erreur de croire que, durant les luttes épiques du moyen âge, le pouvoir « spirituel » et le pouvoir « temporel » représentaient des principes foncièrement différents : en fait l’un et l’autre n’avaient qu’un seul et même objectif, la domination absolue des individus et des peuples, à la fois dans leurs âmes et dans leurs biens. Les rois ne se disent-ils point tous institués par Dieu, dépositaires d’un glaive tombé du ciel, et Frédéric Barberousse ne fit-il pas décider, en 1158, par les docteurs de Bologne, que l’empire du monde entier lui appartenait, toute opinion contraire étant une hérésie ? N’est-ce pas en vertu même de la divinité de leur pouvoir que les rois parvenaient à se maintenir longtemps et même à sauvegarder complètement leur trône en dépit du « ban d’excommunication » ? Le roi de France, Robert, résista longtemps, tout en méritant son surnom de « pieux », à l’interdit qui pesait sur lui pour cause de mariage défendu : les conséquences d’horreur et d’exécration que l’on imagine aujourd’hui ne s’étaient pas produites et on était justement en l’an mil ! On peut citer également en exemple la victime de Grégoire VII, le vieil empereur d’Allemagne, Henri IV, qui passa ses derniers jours dans le palais