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l’homme et la terre. — arabes et berbères

comme par enchantement. Tout le bassin de l’Euphrate, puis toute la Syrie tombent au pouvoir des Mahométans ; le temple de Jérusalem est transformé en mosquée. L’empire des Sassanides s’écroule, et, du coup, la domination des Arabes se fait sentir jusque dans l’Inde. Puis l’Égypte est envahie, bientôt annexée, et les vainqueurs, s’engageant à l’ouest entre le désert et la mer, s’avancent jusqu’à Tripoli, par delà la Cyrénaïque. Neuf années ont suffi pour constituer un empire plus vaste que celui de Constantinople.

Malgré la persistance des haines et des vendettes entre les familles et les tribus, les premières conquêtes du mahométisme eurent un caractère vraiment explosif que lui donnèrent les imaginations ardentes et les énergies soudaines des Arabes entraînés tout d’abord dans son orbite. Ces pâtres, ces chameliers, ces marchands étaient devenus tout d’un coup d’ardents propagandistes, et tous, d’une seule volonté, d’un seul élan, se précipitaient à la conquête du monde pour le soumettre à la vraie foi. Dans l’histoire des conquêtes, rien n’égale la merveilleuse campagne de Khaled qui part de l’Arabie, avec quelques milliers d’hommes, sans autres vivres que le peu de farine contenue dans le sac de chaque guerrier, sans chariots, sans munitions entravant sa marche, et qui, ne laissant point de cadavre ni de traînard en route, court pendant sept jours et sept nuits à travers le désert, large d’un millier de kilomètres, pour apparaître soudain devant Damas et disperser les Grecs d’Heraclius. Pareille énergie, qui semble tenir du miracle, ne peut s’expliquer que par un fanatisme collectif : tous les individus dans l’armée entière n’avaient qu’une âme. Et les conquêtes musulmanes, dans leur prodigieux mouvement d’expansion, à l’orient, jusqu’aux Indes, au nord-est, jusque dans les steppes des Turcomans, au nord, dans l’empire bysantin, à l’ouest, jusqu’au bord de l’Atlantique et par delà les Pyrénées, pourraient-elles s’expliquer si les envahisseurs n’avaient été saisis de cette fureur sacrée qui, d’avance, leur donnait la victoire ? Sans doute, ils étaient soulevés au-dessus d’eux-mêmes par une foi absolue dans le miracle : c’est ainsi que, plus tard, les Espagnols arabisés, dans leurs prodigieuses luttes contre les Aztèques, les Toltèques ou Quichua du Nouveau Monde, voyaient toujours un saint Jacques de Compostelle ou une sainte Vierge combattre devant eux dans le ciel et les exciter au massacre.

Les Arabes se croyaient guidés par Allah lui-même et se lançaient