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fermeture de l’école d’athènes

d’exercer l’art ou le métier[1] ; un novateur, semblable à Michel-Ange par le génie naissant, eût été déclaré indigne de sculpter et d’exercer la statuaire.

C’est ainsi qu’étaient dirigées les industries « libres », car quelques autres restaient le monopole absolu du gouvernement et celui-ci les cachait dans ses ateliers et ses prisons avec des esclaves pour ouvriers.

Naturellement l’État devait également prétendre à surveiller l’éducation, à diriger l’esprit public. Déjà l’un des premiers empereurs d’Orient, Theodose II, établissait à Constantinople, dès le commencement du cinquième siècle, la première université proprement dite, dont il choisit les trente et un professeurs : trois rhéteurs et dix grammairiens latins, cinq rhéteurs et dix grammairiens grecs, un philosophe, deux jurisconsultes. Sous la vigilante police des empereurs, l’enseignement prit un caractère de plus en plus classique et traditionnel. Grand persécuteur comme tous les théologiens et juristes pénétrés du sentiment de leur autorité, le fameux Justinien ne voulut pas même admettre que l’étude individuelle pût suivre une voie autre que le chemin prescrit par lui ; cherchant à mouler l’humanité dans ses codes, ce qui lui réussit partiellement tant les hommes sont une pâte ductile, il décida que désormais il ne resterait plus rien de l’ancien paganisme ; il ne voulut pas même admettre que des chrétiens suspects de révérence pour les auteurs classiques, « non encore illuminés par la foi », s’ingérassent à professer sans son autorisation et celle de ses évêques.

Justinien ferma donc les écoles d’Athènes et d’Alexandrie que, par respect du passé, par vénération pour les grands noms d’Eschyle, de Sophocle, d’Euripide, d’Hérodote, de Périclès, de Démosthènes, les empereurs de Rome, même chrétiens, avaient toujours respectées. Il en confisqua les biens, et les professeurs eurent aussi à craindre pour leur liberté et pour leur vie ; même les livres furent menacés. La date de cet acte d’autorité, qui est en même temps celle de la fondation du Monte Cassino par Benoît, marque un des points culminants qui séparent le monde nouveau du monde antique : la liberté de pensée n’existait plus et près de mille ans devaient s’écouler en Europe avant que l’initiative

  1. Jules Nicole, Livre du Préfet ; — Ernest Nys, Revue de Droit international et de Législation comparée, t. XXX, 1899.