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l’homme et la terre. — barbares

villas gallo-romaines, telles que les décrit Fustel de Coulanges : chacune formait une petite république une et indivisible, se suffisant à elle-même et possédant tous les corps de métier[1]. Même des siècles après la chute du monde romain, le couvent avait gardé l’architecture et l’aménagement de la villa patricienne[2].

L’amour du bien public, la sollicitude pour les intérêts généraux eurent peut-être aussi leur part à la fondation des monastères. Telle communauté fut sans doute à l’origine la tentative de réalisation d’une société ayant un objectif économique et ne touchant à la religion que par des pratiques traditionnelles, dont il n’était pas alors possible de se dispenser. Ainsi les défricheurs de forêts, tout en se donnant une constitution monacale, s’occupaient avant toute chose de l’appropriation raisonnée du sol ; de même les « hospitaliers » s’associaient pour aider les pèlerins, les étrangers : vivant dans le monde et pour le monde, ils étaient animés par un esprit tout différent de celui qui livrait aux macérations l’égoïste anachorète. Mais la vraie révolution religieuse et sociale se fit par l’entremise des moines itinérants que la « folie de la croix » poussait à la propagande et à la conversion.

Ceux qui s’illustrèrent le plus dans cette œuvre furent les religieux originaires de l’extrémité nord-occidentale de l’Europe. C’est un des étonnements de l’histoire que l’Irlande, cette terre entourée par l’Océan sauvage et restée complètement en dehors de la civilisation grecque et latine, ait eu pourtant une part si considérable dans la double conversion des Germains à la religion chrétienne et à des mœurs plus policées. Ce phénomène historique s’explique par le fait capital que l’Irlande avait échappé à la conquête romaine ; les peuples d’Érin n’ayant pas été brisés, avilis par la servitude, comme les Gaulois et les Bretons, avaient gardé plus d’initiative et d’élan, ainsi qu’une plus grande liberté que les autres chrétiens dans leur manière de croire. Ils furent vraiment des civilisateurs, très épris d’instruction, de renouvellement intellectuel. L’esprit de liberté qui anima les missionnaires et les savants de la verte Érin contraste avec la routine d’asservissement qui se produisit dans tous les autres pays. C’est un Irlandais,

  1. G. Tarde, Les Transformations du Droit, p. 24.
  2. Ch. Dezobry, Rome au siècle d’Auguste, tome III, lettre 81 ; Raoul Rosières, Histoire religieuse de la France, pp. 69, 70.