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l’homme et la terre. — barbares

conduire les embarcations de havre en havre jusque vers le plus sûr, celui qui pénètre le plus avant dans l’intérieur des terres. C’est comme une large porte invitant, à l’entrée même de la Manche, les flottilles qui, de tous les parages du nord, convergent vers le détroit. Nul endroit sur tout le pourtour de la Grande-Bretagne n’était aussi bien indiqué et aussi commode comme lieu d’accès et de commerce avec les terres de la côte belge et germanique. Et c’est précisément au plus près de ce port marqué pour le va-et-vient du trafic que se trouvait aussi, à la pointe de Kent, le lieu de passage rapide pour les voyageurs qui, d’une rive à l’autre, voulaient toujours garder la terre en vue. Les avantages de l’estuaire où se déverse la Tamise étaient donc de toute évidence et devaient contribuer dans une forte mesure à peupler ce littoral où se pressent aujourd’hui des millions de Londoniens : mais combien rares étaient alors sur l’estuaire les rivages d’accès propre et facile, non contaminés par des plages vaseuses dont barques et gens ne pouvaient approcher. Un point de la Londres actuelle, le pied de la petite colline qui porte maintenant la cathédrale de Saint-Paul, et que longeait alors le cours inférieur d’un ruisseau, le Fleet, dont la bouche servait de havre, présentait les conditions nécessaires pour le débarquement des marins. Le Londinium fortifié sous Constantin présentait le long de la rivière un front de 15 à 18 cents mètres et une profondeur moitié moindre[1], mais avant d’arriver à cette berge propice, où les étrangers auraient-ils pu amarrer leurs barques ? Des sables, des vasières défendent la côte, et des marais, des prairies inondées occupent une large bande de terre riveraine. Même dans la ville actuelle, la rive méridionale est si basse que les maisons baignent dans l’eau par leurs fondations : l’aspect de Londres montre bien qu’elle repose sur un marécage graduellement reconquis. Autrefois les habitations de la région, groupées en hameaux et villages, se construisaient à une grande distance du fleuve, de ses bords inondés, des prairies et des forêts humides aux brousses entremêlées : les indigènes recherchaient surtout les hauteurs, dont la roche crayeuse, couverte d’un gazon ras, offrait aux bâtisseurs des espaces nus, débarrassés de tout obstacle et permettant de surveiller au loin les terres basses où se cachait peut-être l’ennemi.

  1. Mitteilungen der k. k. geog. Gesellschaft, Wien, 7-8, 1903. — Voir Carte de Londres au moyen âge, tome IV, p. 99.