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l’homme et la terre. — barbares

raineté virtuelle de Rome, à la condition d’être reconnu comme patricien et de recevoir en droit le gouvernement de l’Italie ; quoiqu’absolument roi, il reconnaissait pourtant les anciennes lois de Rome, honorait le Sénat et laissait la magistrature entre les mains des fonctionnaires romains. Et loin de Rome, dans le nord de la Gaule, des lieutenants de l’empire, Aegidius, puis son fils Syagrius, continuèrent de régir et de défendre leur province au nom de Rome, comme Aetius l’avait fait avant eux : le cœur ayant cessé de battre, les membres vivaient encore. C’est en 486 seulement, dix ans après la déposition de Romulus-Auguste, que Syagrius, « roi des Romains », fut vaincu par les Francs à Soissons et que disparut le dernier lambeau de l’empire d’Occident.

Mais la pression des tribus barbares n’avait point cessé sur les frontières. En 488, le roi des Ostrogoths, Theodoric, qui avait aussi revêtu la dignité de général au service de l’empereur d’Orient, descendit de sa forteresse des Alpes dans les plaines de l’Italie. Vainqueur en trois grandes batailles, il réussit après une campagne de cinq années à prendre traîtreusement Odoacre dans Ravenne, et, sous prétexte de rétablir l’unité de l’empire au profit de l’empereur de Bysance, devint le maître indépendant de l’Italie : il commença même la reconquête des provinces en s’emparant des régions alpines, de la Sicile, de la Provence, occupa la vallée de la Save au détriment de l’empire d’Orient, et, par une alliance étroite avec les Visigoths, reconstitua presque à son profit l’empire d’Occident ; quatre ou cinq générations après Ermanaric, l’empire des Goths s’est déplacé de 2 500 kilomètres vers l’ouest, des plaines sarmates aux péninsules baignées par la méditerranée occidentale.

Devenu Romain par les peuples qu’il avait assujettis, Theodoric se substitua aux anciens maîtres pour la défense de Rome et, en vue de cette œuvre, employa les éléments de civilisation qui s’étaient maintenus, s’entoura d’hommes intelligents et instruits, tel Boèce, et continua la tradition romaine. Il entreprit même le travail de restauration matérielle, éleva des édifices nouveaux, dont quelques-uns sont encore parmi les plus curieux de l’Italie. Il est remarquable qu’à cette époque de sang, il se soit trouvé un homme pour s’arrêter en plein élan victorieux ; en la vigueur de son âge, Theodoric remit le sabre au fourreau, et son règne, qui continua pendant 30 ans, fut