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l’homme et la terre. — barbares

paraison de celui auquel s’étaient voués tous les guerriers nobles : vainqueurs, ceux-ci « donnaient » leurs ennemis à Odin, vaincus, ils « allaient » à lui ; mais de toute manière, pourvu que le sang fût versé en bataille, ils apaisaient la soif du dieu et méritaient d’aller dans un Val-holl, le « palais des Égorgés ». Les prisonniers étaient, toujours offerts en sacrifice, soit qu’on les jetât dans les épines ou qu’on les écorchât vifs, soit, comme on le faisait d’ordinaire, qu’on les pendît à un arbre, tout en les perçant en même temps du poignard ; puis les sorciers venaient parfois et traçaient des runes sur leurs corps pour évoquer l’âme et prophétiser l’avenir. Parmi les diverses appellations que les sages donnent à Odin, « Maître des gibets » est celle qui revient le plus fréquemment. Tous les neuf ans on lui offrait un grand sacrifice, dans lequel on tuait en son honneur non des prisonniers mais des hommes de la nation ; souvent des fils tuaient le père pour prolonger leur propre vie ; des animaux, surtout le faucon, sans doute symbole de l’âme ailée, étaient aussi sacrifiés avec les victimes humaines.

Les batailles étaient parfois précédées d’un acte symbolique, de signification terrible : on lançait une javeline au-dessus des ennemis, comme pour en prendre possession au nom du « Maître des potences ». Dans ce cas, tout était voué à la mort, les hommes étaient donnés à Odin, et le butin lui était livré : il fallait jeter les dépouilles de l’ennemi ; de là ces amas d’armes et d’objets que les archéologues ont trouvés dans les marais du Nord, notamment dans le Sleswig et le Jylland[1]. Les Cimbres et les Teutons, appartenant au même cycle de civilisation que les Scandinaves, vouaient ainsi l’armée ennemie à leurs dieux ; les Germains d’Arminius mirent le même esprit religieux à sacrifier les légions romaines. Jusqu’à la fin du Xe siècle, entre 960 et 970, on cite une bataille que précède le lancement de la javeline, signe d’extermination complète. Les sacrifices humains, sous forme religieuse, ainsi que la mort des veuves, sur le tombeau des époux, eurent encore lieu au commencement du XIe siècle, quoique, à cette époque, les Normands, graduellement christianisés par leurs relations avec les populations de l’Europe occidentale, eussent aidé à changer peu à peu les mœurs de leur patrie d’origine[2].

  1. Engelhardt, Denmark in the early Iron Age.
  2. H.-M. Chadwick, The Cult of Othin.