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chute de rome

barbares d’hier devenus de naïfs et confiants serviteurs de l’Église, il réussirait à fonder une société parfaite, digne d’entrer de plain-pied dans le paradis céleste. Les Vandales se rendirent en effet à son invitation et assiégèrent Hippone (430). Saint Augustin mourut toutefois avant d’assister aux horreurs du pillage.

À cette époque Rome était déjà tombée. L’empire avait pourtant très vaillamment lutté. En 403, le centre de résistance s’était déplacé vers la cité de Ravenne, mieux située que Rome pour repousser les invasions des Visigoths, puisqu’elle était plus rapprochée des passages alpins et qu’elle était défendue par une ceinture de rivières et de marais. Mais ces victoires ne faisaient que retarder l’irruption des multitudes armées. Visigoths, Vandales, Suèves, Alains, Burgondes, tous se dirigeaient vers Rome, restée la capitale quand même. Enfin, en 410, l’attentat depuis si longtemps attendu finit par s’accomplir. Alaric, chrétien lui-même et chef d’une armée de Visigoths chrétiens, s’était présenté devant Rome, et ce fut une noble dame chrétienne qui en fit ouvrir une porte aux massacreurs. Le pape Innocent avait déjà quitté la ville « pour ne pas être témoin de la ruine d’un peuple pécheur, de même que le juste Loth était sorti de Sodome pour échapper à l’embrasement que préparait la Providence ». Après son œuvre de dévastation Alaric trouva chez les chrétiens le panégyrique auquel il avait droit. Paul Orose, disciple de saint Augustin, glorifie ainsi le dévastateur : « Alaric a été l’envoyé de Dieu… Il a été le plus doux des vainqueurs, puisqu’il était chrétien : il a respecté les églises, épargnant les Romains qui s’y étaient réfugiés, il n’a tué qu’en dehors des basiliques, et seulement des idolâtres ; c’était leur lot. »

Quelques années avant la prise de Rome, le même Alaric avait paru devant Athènes, mais il avait résisté à la pression des « hommes impies vêtus de noir » — c’est-à-dire des moines — qui l’exhortaient furieusement à détruire ce « dernier habitacle des démons ». Peut être n’osait-il pas attenter à la splendeur du Parthénon ; moins timide devant Éleusis, il céda aux objurgations de ces mêmes hommes noirs qui l’accompagnaient partout, et leur laissa porter la torche dans l’un des plus beaux temples que l’homme ait jamais dressés. On canonisa ces Érostrates chrétiens[1], mais en dépit du triomphe que célébrait la foi

  1. Jules Baissac, Société nouvelle, août 1896, pp. 165 et suiv.