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l’homme et la terre. — chrétiens

instaurer ce qu’il y trouvait de bon et le mêler à une religion de son choix qui eût gardé la forme païenne, quoique la morale en eût été nouvelle. Cette religion est celle que lui-même appelait « hellénisme » et qui eût été en effet complètement grecque par sa philosophie, par sa haute morale. Entraîné par ce projet à réalisation impossible, cet empereur qui désirait le bien, mais qui n’en faisait pas moins le mal, parce qu’il était nanti de cette terrible prérogative du pouvoir absolu, fut le premier qui utilisa la puissante organisation administrative de l’empire pour constituer au profit de l’État l’unité de l’enseignement. Il imposa aux villes l’obligation de lui soumettre le choix des professeurs, puis à ceux-ci il dicta le programme de ce qu’il leur faudrait enseigner et des doctrines qu’ils auraient à écarter. Il leur défendit de professer des opinions différant des croyances populaires. Ainsi l’État devint maître d’école. C’en était fait, et pour longtemps, de la liberté[1]. Cette organisation centralisée de l’enseignement, imaginée contre les chrétiens par le paganisme mourant, devait surtout servir aux chrétiens contre toute hérésie, contre toute nouveauté, contre la liberté même de la pensée, et sert encore à tout gouvernement contre ceux dont il a peur.

Un édit de 870, adressé par Valentinien, Valens et Gratien à Olybrius, préfet de Rome, nous montre dans quel esprit de despotisme fut interprété ce droit d’intervention du gouvernement, considéré comme directeur de l’instruction publique : tous ceux qui voulaient étudier à Rome devaient d’abord apporter au « maître du cens » ou préfet de police les lettres des gouverneurs de province leur donnant permission d’étudier et déclarant leur lieu de naissance, âge et qualités. Après s’être inscrits au cours, ils devaient faire strictement les études indiquées, obéir aux règlements de police sous peine de fustigation, et partir après avoir accompli leur vingtième année : « s’ils négligent de partir d’eux-mêmes, le préfet aura soin de les expédier, fût-ce contre leur gré »[2]. Il ne leur restait plus qu’à supprimer l’initiative des villes et des individus pour l’enseignement. C’est ce que les empereurs bysantins, suivant la logique des idées, accomplirent bientôt après.

Toutefois, le long et savant détour de l’assouplissement parfait des hommes par l’éducation était une méthode trop patiente et trop en

  1. Albert Harrent, Les Écoles d’Antioche, pp. 52 à 59.
  2. Même ouvrage, pp. 215-216.