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l’homme et la terre. — chrétiens

seraient arrangés pour que la lumière ne fût pas également répartie entre tous. Le soleil, acheté à prix d’or, ne luirait plus que pour eux, et Dieu aurait été contraint de faire un autre monde pour les pauvres »[1].

Le besoin de justice et d’équité qui se trouve à l’origine de toutes les transformations sociales se faisait sentir dans tout le monde romain, aussi bien dans l’Italie des vainqueurs que dans la Palestine des vaincus : partout la religion nouvelle recevait donc dès le commencement l’aliment nécessaire. Mais, partout également, elle était en présence d’éléments qui l’aidèrent à formuler sa doctrine et à se donner un cérémonial définitif : le christianisme s’étendit rapidement sur un immense territoire parce qu’un mouvement intime des esprits l’avait préparé en tout lieu et parce que les légionnaires de toutes les provinces s’en étaient faits les porteurs. Tout d’abord, la Palestine, pays officiel, pour ainsi dire, de la naissance du néo-judaïsme des gentils, eut une forte part dans sa genèse profonde. La société de justice, telle que l’avaient rêvée les prophètes juifs, n’avait pu naître sous le régime imposé par les divers conquérants, séleucides et romains, aux peuples conquis, et, sous la dure épreuve des événements, les malheureux, attendant en vain le miracle, avaient dû prendre le seul parti qui leur restât, et se résigner à la misère, aux iniquités triomphantes de ce monde odieux dans lequel ils vivaient. Échappant à la foule banale des gens de plaisir et d’affaires, ils s’étaient mis au nombre des frappés que recouvraient des ulcères, comme Job, ou qui, à l’exemple de Lazare, s’asseyaient à la porte du riche ramassant les miettes tombées de la table : toutefois, ils se promettaient une vie future, dans laquelle, à leur tour, ils jouiraient des béatitudes infinies et se donneraient contre les injustes de la vie terrestre la parfaite satisfaction de la vengeance.

De cette période de l’évolution judaïque date la croyance active, puissante, en une résurrection corporelle, qui serait en même temps une glorification, une apothéose pour tous ceux qui avaient injustement souffert ici-bas. Les Juifs primitifs, de même que tous les autres peuples, avaient certainement cru à la persistance de la vie au delà du tombeau, puisqu’ils redoutaient et parfois évoquaient les âmes

  1. Chants sibyllins, II, 320 ; VIII, 3, cités par Gaston Boissier. La Fin du Paganisme, t. II, p. 25.