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l’homme et la terre. — inde

rellement avec l’Inde péninsulaire, à la fois par divers traits du sol, des habitants, du langage et des mœurs, diffère également de la grande terre par le maintien d’anciennes formes religieuses réputées bouddhiques, mais comparables pour l’authenticité d’origine à la fameuse « dent du Buddha », simple canine de carnassier que l’on conserve dans le temple du pic d’Adam.

Le même mouvement de migration qui avait fait descendre les Aryens primitifs des hautes terres de l’Afghanistan dans le bassin de l’Indus se continua certainement de siècle en siècle, modifiant incessamment les cultes et les mœurs. C’est à ce point de vue que l’on peut considérer comme ayant une valeur historique la légende rapportée par Ammien Marcellin, d’après laquelle Hystaspes ou Vistâçpa, père de Darius, aurait pénétré dans l’Inde supérieure pour en explorer « les contrées secrètes » et visiter les brahmanes dans le « silence auguste des forêts » ; avec eux il aurait étudié les « mouvements du monde et des astres », scruté le « rituel des sacrifices », appris les « mystères de la magie »[1]. Cette légende indique du moins que des relations n’avaient cessé d’exister entre les Aryens des plateaux de l’occident et ceux des plaines orientales, et que les deux cultes arrivés à leur développement ecclésiastique, le zoroastrisme et le brahmanisme, eurent des occasions de se pénétrer mutuellement[2].

On peut citer un autre indice de ces relations. Il est généralement admis — mais non par tous les indianistes — que peu de temps après le Buddha, l’écriture était en train de se répandre chez les peuples de l’Inde ; un recueil, vraisemblablement de l’époque, le Ialita Vistara, énumère 64, et, dans une traduction chinoise, 65 espèces d’écritures. Parmi celles-ci, il en est une qui porte le nom de Kharôsti, c’est-à-dire de « lèvres d’âne », calembour probable qui fait penser à Cyrus, le Khusrau de l’histoire persane, considéré dans son propre pays comme un « mulet » parce que sa mère, une Mède, était l’épouse d’un Perse[3]. C’est un fait constant que lorsque des noms propres sont introduits en une langue étrangère, le peuple les altère graduellement de manière à leur donner un sens. Ce serait donc aux temps où Cyrus étendit sa domination sur les contrées limitrophes de l’Inde

  1. Ammien Marcellin, Livre XXIII, ch. VI, §§ 32. 33.
  2. Brunnhofer, Vom Aral bis zur Gangâ, p. 164.
  3. Hérodote, Histoires, l. I, 55.