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révolution bouddhique

le bouddhisme a son importance, et, pour s’en rendre compte, il faut évoquer le passé des âges qui précédèrent cette période, montrer quels étaient les éléments sociaux en existence et de quelle manière s’établissait leur équilibre.

Eh bien ! on sait que les populations asservies étaient alors fort malheureuses dans l’Inde et que la classe dominante avait réussi, en systématisant la division par castes, à faire accepter leur assujétissement par la plupart des vaincus. La dolente multitude des « diables », des « pourceaux », des « chiens », ainsi qu’on désignait les autochtones avilis, se rangeait, douloureuse et résignée, dans les assises inférieures de la grande pyramide hiérarchique ; mais il y eut des révoltes là où la transition fut trop brusque, de l’indépendance à l’esclavage, et c’est un fait très remarquable que le lieu de naissance de la religion bouddhique fut précisément la contrée située à l’orient de cette rivière Sadânirâ, si longtemps infranchissable aux envahisseurs aryens[1]. Après avoir d’abord résisté par les armes, les habitants de ces pays revêches à la servitude continuèrent la lutte dans un autre domaine, celui de la pensée, de la volonté. Telle fut la genèse de la révolution bouddhique tendant vers un idéal d’égalité, vers la suppression des haïssables castes. Il est vrai que, plus tard, une nouvelle caste, graduellement constituée, celle des prêtres bouddhistes, a fait effort pour représenter cette révolution comme une ombre sans corps, pour lui enlever tout caractère économique et social en lui donnant une signification purement idéale et mystique : toute Église prend un soin pieux de cacher ses origines révolutionnaires.

On connaît la légende : à une époque indéterminée, mais évaluée en moyenne à vingt-quatre siècles et demi ou vingt-cinq siècles avant nous[2], alors que, par un mouvement parallèle, des tentatives de sociétés idéales se faisaient avec Pythagore et autres philosophes dans les contrées riveraines de la Méditerranée, un jeune noble, peut-être même un prince, Siddhartha, de la famille des Çakya ou des « Puissants », naquit à Kapilavastu, au bord d’un torrent qui descend de l’Himalaya vers le fleuve Gangâ. Il se maria, il eut même un fils, tradition qui plaide en faveur de l’existence réelle du personnage Buddha, car les disciples, laissés à leur libre invention, eussent certainement élevé leur maître

  1. Hermann Oldenberg, Buddha, p. 11.
  2. Même ouvrage, p. 97.