Page:Reclus - L'Homme et la Terre, tome III, Librairie universelle, 1905.djvu/178

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
162
l’homme et la terre. — inde

siècles, ont perdu toute précision historique : les ennemis vaincus reçoivent des noms de diables et de dragons ; même les alliés des nobles Aryens sont tenus pour des animaux, trop heureux d’être illuminés par les rayons émanés de la face du souverain, Râma, le roi de la dynastie solaire. Les « singes » de Hanuman furent certainement une de ces nations associées aux expéditions de conquêtes aryennes. Un voyageur[1] se demande s’il ne faut pas voir dans ces compagnons quadrumanes de Râma des peuples de l’Indo-Chine qui se distinguent par la forme de leurs orteils, distincts et opposables. Le nom antique de l’Annam fut longtemps l’appellation chinoise de Van-Lang, « Royaume des Orteils déliés ». Quoi qu’il en soit, la conquête aryenne s’acheva triomphalement : la cité légendaire de Lanka, dans laquelle la divine Sitâ se trouvait enfermée, reçut à demeure non seulement les guerriers, mais aussi les immigrants venus des régions aryanisées de la Gangâ, car les langues d’origine aryenne, le pâli et le sanscrit, ont eu beaucoup plus d’influence sur le parler des insulaires que sur les langages de l’Inde péninsulaire continentale. Le cinghalais est classé par tous les ethnologistes parmi les idiomes de la grande famille aryenne.

Après les guerres de conquête viennent les guerres civiles. La dynastie solaire et la dynastie lunaire entrèrent en lutte pour la possession de l’empire, et si l’on ignore le détail des événements pendant le terrible conflit, car l’épopée du Mahâbhârata peut être interprétée de bien des manières par la géographie et l’histoire, du moins sait-on que de grands changements se firent alors dans l’équilibre des nations hindoues. Une légende très curieuse au point de vue de la géographie historique raconte comment le dieu Agni Vaiçvânara, le « Feu du Sacrifice », chemine à l’Orient de la divine Sarasvati et flambe triomphalement par-dessus tous les fleuves. Mais arrivé à la rivière Sadânirâ, qui descend tumultueusement des gorges des monts septentrionaux, il s’arrête longtemps, incapable de franchir le rapide courant. D’après Weber, la Sadânirâ serait le fleuve Gandaki, qui sert actuellement de limite entre l’Audh, l’ancien royaume de Râma, et le Bengale, qu’habitèrent longtemps des peuples païens et où se retrouvent encore de nombreuses tribus non aryanisées. Mais après cet arrêt tempo-

  1. Paul d’Enjoy, Les Pédimanes, Revue Scientifique, 28 mai 1899.