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l’homme et la terre. — inde

plus tard, dans l’occident, le christianisme s’assimila les rites et les divinités des religions païennes. C’est ainsi que la pratique terrible du sacrifice des veuves s’infiltra dans le cérémonial mortuaire des Brahmanes, mais non sans lutte, car on cite plusieurs passages qui prouvent l’introduction graduelle de cette coutume dans le monde brahmanique. Si d’anciens textes la condamnent formellement, c’est précisément parce qu’il était urgent de la combattre. Un commentaire s’exprime ainsi : « Au vers : Lève-toi, femme, la femme se lève et monte pour suivre son mari défunt. Le frère cadet du mort l’en empêche, et le prêtre s’il n’y a pas de beau-frère ; mais suivre le mort est interdit, ainsi le veut la loi des Brahmanes. Pour ce qui regarde les autres castes, on peut appliquer ou ne pas appliquer cette loi »[1].

Le brûlement des veuves n’était donc pas étranger aux populations barbares au milieu desquelles les Arya étaient descendus. Mais ce ne furent pas les mœurs de ces derniers, les civilisateurs, qui prévalurent. Les prêtres aryens ayant trouvé dans la coutume indigène un moyen puissant de domination, finirent par s’y accommoder et ne craignirent même pas de fausser les livres sacrés, en y interpolant des passages contraires à l’enseignement primitif. Pendant plus de deux mille années, ce sont les traditions des sauvages Dasyu qui, sous le nom des « augustes » Brahmanes, présidèrent aux sacrifices « volontaires » des veuves.

Déjà les divinités helléniques, nées dans les contrées de l’Orient méditerranéen aux formes si précises, sont des êtres aux contours indécis, changeant souvent d’attributs et de noms. Les dieux hindous, invoqués par un peuple en voie de migration lente, et s’épandant en un monde si vaste qu’il était pour lui sans limites, étaient encore plus flottants et souvent se confondirent ; on dirait des nuages, des brouillards se pourchassant dans le ciel. Les indianistes ont même grand’peine à reconnaître le rôle exact de chacun des dieux védiques, leurs fonctions changeaient avec le temps et les adorateurs ; seuls les initiés peuvent suivre les transformations d’un Indra ou d’un Somâ et distinguer entre les deux Brahma ou les deux Açvin.

Dans l’Inde brahmanique, les mille fragments sociaux des familles, les clans, les peuplades sont représentés par autant de dieux locaux.

  1. Max Muller, Essais de Mythologie comparée, trad. G. Perrot, p. 48.