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l’homme et la terre. — inde

Après le Rig-veda, l’évolution religieuse des Aryens de l’Inde se continue par une observation de plus en plus stricte des rites ; les chants, les hymnes, les prières, le tout répété dans une vieille langue dont le sens devient de plus en plus indistinct, s’accompagnent de formules inflexibles qui témoignent d’une constitution définitive de la caste ecclésiastique. Pendant que les prêtres consolidaient ainsi leur pouvoir, triomphant même de celui des rois, le mouvement de conquête continuait de s’étendre dans la direction de l’est et passait du bassin de l’Indus dans celui de la Djamna et de la Gangâ : les descendants des premiers envahisseurs aryens se trouvaient ainsi en contact avec un nombre croissant de types, de races et de religions. Il s’ensuivit des croisements de toute nature, les divers cultes bhutanais, dravidiens, kohlariens entrèrent dans le tourbillon de croyances aryennes, comme des eaux affluentes dans le courant d’une rivière. La pratique des sacrifices humains, qui peut-être avait existé en des cas de danger national chez les Aryens montagnards, devint générale, pense-t-on, et l’on égorgea jusqu’à des centaines de captifs : la guerre incessante fournissait les richesses en surabondance, il était toujours facile de satisfaire l’appétit des dieux. L’esclavage ou l’extermination, tel devait être le sort des vaincus, et cependant, comme il arrive toujours en pareil cas, ce furent les esclaves et les torturés qui modifièrent la mentalité des maîtres et oppresseurs.

Le quatrième recueil des Saintes Écritures, qui fut composé à cette époque, l’Atharva-veda, n’est plus aryen que par de rares emprunts, par quelques vers du Rig-veda encadrant des formules de magie, des recettes divinatoires, des incantations, des sortilèges. Le fond de l’Atharva est en réalité un pur chamanisme comme la religion des Tchuktchi et des Samoyèdes ; il est dû précisément aux Dasyu, c’est-à-dire aux « Ennemis », ainsi que les envahisseurs aryens avaient nommé les aborigènes quand ils ne réussissaient pas à en faire des Dasa ou « Esclaves ». Dans leurs poèmes, les Aryens ne manquent jamais d’exprimer leur aversion pour ces gens qu’ils viennent priver de leurs terres, pour tous ces individus à peau noire ou jaune, pour tous ces monstres à nez plat ou même sans nez, pour tous ces carnivores ou mange-cru et autres gens sans foi, sans roi, sans loi : c’est ainsi que de tout temps les vainqueurs ont traité les vaincus. Le terme de Dasyu, qui signifiait simplement « ennemi », finit même par