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d’ailleurs, l’homme des campagnes, peu accoutumé à généraliser ses idées, manquera toujours de termes abstraits ; & cette inévitable pauvreté du langage qui resserre l’esprit, mutilera vos adresses & vos décrets, si même elle ne les rend intraduisibles.

Cette disparité de dialectes a souvent contrarié les opérations de vos commissaires dans les départemens. Ceux qui se trouvoient aux Pyrénées-Orientales en octobre 1792 vous écrivoient que, chez les Basques, peuple doux & brave, un grand nombre étoit accessible au fanatisme, parce que l’idiôme est un obstacle à la propagation des lumières. La même chose est arrivée dans d’autres départemens, où des scélérats fondoient sur l’ignorance de notre langue, le succès de leurs machinations contre-révolutionnaires.

C’est sur-tout vers nos frontières que les dialectes, communs aux peuples des limites opposées, établissent avec nos ennemis des relations dangereuses, tandis que dans l’étendue de la République tant de jargons sont autant de barrières qui gênent les mouvemens du commerce, & atténuent les relations sociales. Par l’influence respective des mœurs sur le langage, du langage sur les mœurs ; ils empêchent l’amalgame politique, & d’un seul peuple en font trente. Cette observation acquiert un grand poids, si l’on considère que, faute de s’entendre, tant d’hommes se sont égorgés, & que souvent les querelles sanguinaires des nations, comme les querelles ridicules des scholastiques, n’ont été que de véritables logomachies. Il faut donc que l’unité de langue entre les enfants de la même famille éteigne les restes des préventions résultantes des anciennes divisions provinciales, & resserre les liens d’amitié qui doivent unir des frères.

Des considérations d’un autre genre viennent à l’appui de nos raisonnemens. Toutes les erreurs se tiennent comme toutes les vérités : les préjugés les plus absurdes peuvent entraîner les conséquences les plus funestes. Dans quelques cantons, ces préjugés sont affoiblis ; mais dans la plupart des campagnes ils exercent encore leur empire. Un enfant ne tombe pas en convulsion, la contagion ne frappe pas une étable, sans faire naître l’idée qu’on a jeté un sort : c’est le terme. Si dans le voisinage il est quelque fripon connu sous le nom de devin, la crédulité va lui porter son argent, & des soupçons personnels font éclater des vengeances. Il suffiroit de remonter à très-peu d’années, pour trouver des assassinats commis sous prétexte de maléfice.

Les erreurs antiques ne font-elles donc que changer de formes en parcourant les siècles ? Que du temps de Virgile on ait supposé aux magiciennes de Thessalie la puissance d’obscurcir le soleil & de jeter la lune dans un puits ; que dix-huit siècles après on ait cru pouvoir évoquer le diable ; je ne vois là que des inepties diversement modifiées.