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empressée à la consacrer dans son histoire comme une de ses belles époques. On connoît les tentatives de la politique romaine pour universaliser sa langue : elle défendoit d’en employer d’autre pour haranguer les ambassadeurs étrangers, pour négocier avec eux ; & malgré ses efforts, elle n’obtint qu’imparfaitement ce qu’un assentiment libre accorde à la langue française. On sait qu’en 1774 elle servit à rédiger le traité entre les Turcs et les Russes. Depuis la paix de Nimégue, elle a été prostituée, pour ainsi dire, aux intrigues des cabinets de l’Europe. Dans sa marche claire & méthodique, la pensée se déroule facilement ; c’est ce qui lui donne un caractère de raison, de probité, que les fourbes eux-mêmes trouvent plus propre à les garantir des ruses diplomatiques.

Si notre idiôme a reçu un tel accueil des tyrans & des cours, à qui la France monarchique donnoit des théâtres, des pompons, des modes & des manières, quel accueil ne doit-il pas se promettre de la part des peuples, à qui la France républicaine révèle leurs droits en leur ouvrant la route de la liberté ?

Mais cet idiôme, admis dans les transactions politiques, usité dans plusieurs villes d’Allemagne, d’Italie, des Pays-Bas, dans une partie du pays de Liége, du Luxembourg, de la Suisse, même dans le Canada & sur les bords du Mississipi, par quelle fatalité est-il encore ignoré d’une très-grande partie des Français ?

À travers toutes les révolutions, le celtique qui fut le premier idiôme de l’Europe, s’est maintenu dans une contrée de la France, & dans quelques cantons des îles britanniques. On sait que les Gallois, les Cornoualliens & les Bas-Bretons s’entendent : cette langue indigène éprouva des modifications successives. Les Phocéens fondèrent, il y a vingt-quatre siècles, de brillantes colonies sur les bords de la Méditerranée ; & dans une chanson des environs de Marseille, on a trouvé récemment des fragments grecs d’une ode de Pindare sur les vendanges. Les Carthaginois franchirent les Pyrénées, & Polybe nous dit que beaucoup de Gaulois apprirent le punique pour converser avec les soldats d’Annibal.

Du joug des Romains, la Gaule passa sous la domination des Francs. Les Alains, les Goths, les Arabes & les Anglais, après y avoir pénétré tour-à-tour, en furent chassés ; & notre langue, ainsi que les divers dialectes usités en France, portent encore les empreintes du passage ou du séjour de ces divers peuples.

La féodalité qui vint ensuite morceler ce beau pays, y conserva soigneusement cette disparité d’idiômes comme un moyen de reconnoître, de ressaisir les serfs fugitifs & de river leurs chaînes. Actuellement encore l’étendue territoriale où certains patois sont usités, est déterminée par les limites de l’ancienne domination féodale. C’est ce qui explique la presqu’identité des patois de Bouil-