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nouvelles qui déterminent la création des mots ; & cependant Barbasan, la Ravalière, & tous ceux qui ont suivi les révolutions de la langue française, déplorent la perte de beaucoup d’expressions énergiques & d’inversions hardies exilées par le caprice, qui n’ont pas été remplacées, & qu’il seroit important de faire revivre.

Pour compléter nos familles de mots, il est encore d’autres moyens : le premier seroit d’emprunter des idiômes étrangers les termes qui nous manquent, & de les adapter au nôtre, sans toutefois se livrer aux excès d’un néologisme ridicule. Les Anglais ont usé de la plus grande liberté à cet égard, & de tous les mots qu’ils ont adoptés, il n’en est pas, sans doute, de mieux naturalisé chez eux, que celui de perfidiousness.

Le second moyen, c’est de faire disparoître toutes les anomalies résultantes, soit des verbes réguliers & défectifs, soit des exceptions aux règles générales. À l’institution des sourds-muets, les enfans qui apprennent la langue française ne peuvent concevoir cette bizarrerie, qui contredit la marche de la nature dont ils sont les élèves ; & c’est sous sa dictée qu’ils donnent à chaque mot décliné, conjugué ou construit, toutes les modifications qui, suivant l’analogie des choses, doivent en dériver.

« Il y a dans notre langue, disoit un royaliste, une hiérarchie de style, parce que les mots y sont classés comme les sujets dans une monarchie. » Cet aveu est un trait de lumière pour quiconque réfléchit. En appliquant l’inégalité des styles à celle des conditions, on peut tirer des conséquences qui prouvent l’importance de mon projet dans une démocratie.

Celui qui n’auroit pas senti cette vérité, seroit-il digne d’être législateur d’un peuple libre ? Oui, la gloire de la Nation & le maintien de ses principes commandent une réforme.

On disait de Quinault qu’il avoit désossé notre langue par tout ce que la galanterie a de plus efféminé, & tout ce que l’adulation a de plus abject. J’ai déjà fait observer que la langue française avoit la timidité de l’esclavage, quand la corruption des courtisans lui imposoit des lois : c’étoit le jargon des coteries & des passions les plus viles. L’exagération du discours plaçoit toujours au-delà ou en-deçà la vérité. Au lieu d’être peinés ou réjouis, on ne voyait que des gens désespérés ou enchantés : bientôt il ne seroit plus resté rien de laid ni de beau dans la nature ; on n’auroit trouvé que de l’exécrable ou du divin.

Il est temps que le style mensonger, que les formules serviles disparoissent, & que la langue ait par-tout ce caractère de véracité & de fierté laconique qui est l’apanage des républicains. Un tyran de Rome voulut autrefois introduire un mot nouveau : il échoua, parce que la législation des langues fut toujours démocratique. C’est