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proposent encore aujourd’hui d’écrire comme on prononce, seroient bien embarrassés d’expliquer leur pensée, d’en faire l’application, puisque les rapports de l’écriture à la parole étant purement conventionnels, la connoissance de l’une ne donnera jamais celle de l’autre ; toutefois il est possible d’opérer sur l’orthographe des rectifications utiles.

2.o Quiconque a lu Vaugelas, Bouhours, Ménage, Hardouin, Olivet & quelques autres, a pu se convaincre que notre langue est remplie d’équivoques & d’incertitudes. Il seroit également utile & facile de les fixer.

3.o La physique & l’art social, en se perfectionnant, perfectionnent la langue : il est une foule d’expressions qui par-là ont acquis récemment une acception accessoire ou même entièrement différente. Le terme souverain est enfin fixé à son véritable sens, & je maintiens qu’il seroit utile de faire une revue générale des mots, pour donner de la justesse aux définitions. Une nouvelle grammaire & un nouveau dictionnaire ne paroissent aux hommes vulgaires qu’un objet de littérature. L’homme qui voit à grande distance, placera cette mesure dans ses conceptions politiques. Il faut qu’on ne puisse apprendre notre langue sans pomper nos principes.

4.o La richesse d’un idiôme n’est pas d’avoir des synonymes ; s’il y en avoit dans notre langue ce seroient sans doute monarchie & crime, ce seroient république & vertu. Qu’importe que l’Arabe ait trois cents mots pour exprimer un serpent ou un cheval ? La véritable abondance consiste à exprimer toutes les pensées, tous les sentimens & leurs nuances. Jamais sans doute le nombre des expressions n’atteindra celui des affections & des idées : c’est un malheur inévitable auquel sont condamnées toutes les langues ; cependant on peut atténuer cette privation.

5.o La plupart des idiômes, même ceux du nord, y compris le russe qui est le fils de l’esclavon, ont beaucoup d’imitatifs, d’augmentatifs, de diminutifs & de péjoratifs. Notre langue est une des plus indigentes à cet égard ; son génie paroît y répugner ; cependant, sans encourir le ridicule qu’on répandit avec raison sur le boursouflage scientifique de Baïf, Ronsard & Jodelet, on peut se promettre quelques heureuses acquisitions ; déjà Pougens a fait une ample moisson de privatifs, dont la majeure partie sera probablement admise.

Dans le dictionnaire de Nicod, imprimé en 1606, sous le Z il n’y avoit que six mots ; dans celui de la ci-devant académie française, édition de 1718, il y en avoit douze ; sous la syllabe Be, Nicod n’avoit que 45 termes ; celui de l’Académie, même édition, en avoit 217, preuve évidente que dans cet intervalle l’esprit humain a fait des progrès, puisque ce sont les inventions