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lorsque, lisant Béranger pour la première fois, il découvrit la naïveté toute bourgeoise de cette théologie d’un genre nouveau, et cette façon de s’incliner, le verre en main, devant le Dieu qu’il cherchait « avec tremblement ». Il ne tarit pas sur ce Dieu de grisettes et de buveurs, ce Dieu auquel on peut croire sans pureté de mœurs ni élévation, et qui lui semble le mythe du béotisme substitué à celui de l’antique sentiment. « Nous sommes tentés, s’écrie-t-il, de nous faire athées pour échapper à ce déisme, et dévots pour n’être pas complices de cette platitude. »

Rien de plus naturel que l’indignation de M. Renan contre la théologie de Béranger. Son sens de l’art suffirait à l’expliquer. L’art et la religion sont deux choses très différentes et très voisines. Les religions ont toujours été les plus grandes sources de poésie, et vainement on tenterait la carrière de l’art si on n’y apportait pas un esprit religieux. Au moins faut-il que l’artiste s’oublie par instants dans un monde fort différent de celui qui tourbillonne autftur de lui, un monde d’images, de sons, d’harmonies, et il n’est point artiste s’il ne lui arrive pas de le prendre plus au sérieux que l’autre. L’art est souverainement idéaliste. M. Renan serait-il aussi un idéaliste ? Sans nul doute, et l’un des plus grands de ce siècle. On nous le représente comme un dilettante, qui s’est fait pour son usage particulier un musée des religions de l’humanité, qui l’enrichit sans cesse de curiosités nou-