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plus vivement qu’un autre ce qu’il y a de factice dans l’art de Béranger. Il passe pour un homme très savant et pour un critique de premier ordre. Jamais réputation ne fut plus méritée. Et cependant je soupçonne que ceux qui le voient de près, ceux auxquels il se livre, l’envisagent comme un artiste plus encore que comme un critique. Le don critique ne paraît pas être aussi essentiel au tour de son génie qu’à celui de M. Edmond Schérer, par exemple. Mais ce qui lui appartient en propre, ce qui le distingue entre tous les théologiens et philosophes hommes de lettres, c’est un sens de l’art singulièrement délicat et original. Il y a de l’Ary Scheffer dans ce critique qui a comparé tant de textes, approfondi tant de langues, compulsé tant de manuscrits. La critique est pour lui un moyen, l’art un but. Des gloses obscures, des textes arides, se dégagent à ses yeux de vivantes physionomies et d’idéales figures. Sa science s’épanouit en rêve, et il semble n’étudier que pour rêver de plus près, penché sur leurs vestiges, les réalités disparues. Qu’est-ce que sa Vie de Jésus, sinon le rêve d’un savant ? Il a relégué l’érudition dans la préface pour être plus libre, et cette préface elle-même n’est pas inséparable de l’œuvre, puisque M. Renan l’a retranchée de l’édition populaire. À vrai dire, ce n’est peut-être pas le plus heureux de ses rêves d’artiste. Jésus est un de ces personnages dont on sait trop ou trop peu. Quel-