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ne joue pas un rôle ; dès lors, l’effet est manqué ; on applaudira, mais on ne sera pas saisi. Rien de semblable dans Pascal. Son invective est plus hardie et plus insultante que celle de Rousseau, mais elle n’est jamais suspecte. Ce n’est pas l’écrivain, c’est l’homme qui parle. On prend garde non à l’énergie de ses discours, mais à la force de ses raisons. On n’applaudit pas, on est atterré. Pascal et Rousseau sont amers tous deux, mais non pas de la même manière. Il n’est pas rare que l’ironie de Rousseau soit froide : celle de Pascal jaillit brûlante ; il souffre en insultant l’homme ; il se tairait s’il le pouvait. De là je ne sais quelle amère poésie qui manque aux colères de Rousseau. Child-Harold a-t-il des strophes plus lamentables : « C’est une chose horrible de sentir écouler tout ce qu’on possède. »[1] Hamlet a-t-il des paroles plus poignantes : « Le dernier acte est sanglant, quelque belle que soit la comédie en tout le reste. On jette enfin de la terre sur la tête, et en voilà pour jamais. »[2]

Ce tableau a-t-il vieilli ? Non, s’il est dans les Pensées quelques pages qui n’aient rien perdu de leur prix, ce sont celles-là. Elles ont encore le mérite de l’à-propos, et il est à croire qu’elles ne le perdront pas de sitôt.

  1. Pensées de Pascal, édit. Astié, II, p. 172.
  2. Ibidem, II, p. 173.