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et elle ne peuvent jamais rester plus de vingt jours au même endroit, par suite des persécutions d’un jeune homme sans principes et sans cœur, fou d’amour pour l’héroïne, et qui la poursuit avec une ténacité impitoyable. À peine établis dans une partie de l’Europe, ils doivent la quitter pour une autre, faisant constamment de nouvelles connaissances et s’en séparant aussitôt. Naturellement cela permettra de décrire une large variété de caractères. Mais il ne devra y avoir aucun mélange des qualités ; les bons seront parfaits sous tous les rapports ; les méchants seuls auront des défauts et des vices ; ils seront entièrement dépravés et corrompus ; c’est à peine s’ils ressembleront à un être humain. Dès le début, l’héroïne rencontre le héros, qui est naturellement la perfection même ; seul, un excès de délicatesse l’empêche d’avouer son amour. Partout où elle va, un homme tombe amoureux d’elle, et elle reçoit de nombreuses demandes en mariage. Souvent enlevée par le anti-héros, elle est sauvée par son père ou par le héros. Souvent obligée de mettre ses talents à profit pour gagner son pain et celui de son père, continuellement trompée et frustrée de ses gains, elle est réduite à l’état de squelette, et, de temps en temps, elle meurt de faim. À la fin, bannis de toute société civilisée, chassés du plus humble cottage, ils sont forcés de se retirer au Kamtschatka, où le pauvre père, à bout de forces, sentant sa dernière heure approcher, se laisse tomber sur le sol, et après quatre ou cinq heures de tendres avis et de paternels conseils à sa pauvre enfant, expire au milieu d’une enthousiaste tirade sur la littérature et d’invectives contre ses persécuteurs. L’héroïne reste quelque temps inconsolable, puis regagne en se cachant son pays natal. Plus de vingt fois, elle manque de tomber aux mains de l’anti-héros. Enfin, au moment précis où elle tourne le coin d’une rue pour l’éviter, elle tombe dans les bras