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développement du génie naturel de la jeune auteur par des théories d’école et de groupe.

Après la lecture du dernier feuillet de Premières Impressions, il n’y eut qu’un cri à Steventon Rectory pour proclamer que des héros si intéressants ne pouvaient rester ignorés du public. Mr. Austen céda très volontiers au désir général, et, en novembre 1797, il écrivit à l’un des principaux éditeurs de Londres, Mr. Cadell, pour lui proposer « le manuscrit d’un roman en trois volumes ayant à peu près la longueur d’Evelina de Miss Burney ». Il offrait de payer les frais de publication si Mr. Cadell ne voulait pas en courir les risques, et se disait prêt à envoyer immédiatement le manuscrit sur le moindre mot d’encouragement. L’éditeur avait probablement déjà trop lu d’ouvrages en trois volumes inspirés d’Evelina, il ne voulut pas perdre de nouveau son temps, et, comme effrayé, par retour du courrier, il refusa l’honneur de publier, même aux frais de l’auteur, le livre qui allait devenir le plus célèbre des chefs-d’œuvre de Jane Austen.

Il ne faut pas trop s’en étonner ; ce fut un peu la faute de Mr. Austen ; s’il eut envoyé le manuscrit, l’éditeur, dès la première page, eut reconnu qu’il était tout différent des insipides productions dont l’accablaient les innombrables imitatrices de Miss Burney.

Ce fut sans doute une déception pour Jane, mais elle en prit tranquillement son parti ; elle ne se crut pas un génie méconnu, et s’inclina devant ce qu’elle considéra comme la sagesse d’un homme compétent. Elle mit Premières Impressions sous clé, dans un tiroir ; il y resta seize ans. Le principal pour elle était que la société de Basingstoke ne sut rien de son échec, et heureusement le secret avait été bien gardé.

Elle ne renonça pas pour cela à écrire ; elle y trouvait trop de plaisir, et l’amusement de créer et de faire mouvoir son petit monde fictif était une récompense